Marie Claire N°805 – Septembre 2019

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News 46


Dans le bureau de Ghada Hatem-Gantzer


Gynécologue et fondatrice de la Maison des femmes de Saint-Denis,


lauréate du prix Simone Veil de la région Île-de-France, elle soigne


et assiste obstinément celles que la société des hommes a meurtries.


Elle nous raconte son quotidien au travail, entre secret médical,


persévérance et “Impromptus” de Schubert. Par Corine Goldberger — Photo Elise Toïdé


—Un principe de travail auquel vous croyez?
La créativité. Une jeune patiente insistait pour que je lui refasse l’hymen. Dans
sa culture, la virginité est extrêmement importante. Comment la dissuader
de se soumettre à une contrainte communautariste et la convaincre que l’im-
portant, c’est son autonomie? Je lui ai dit : « Si tu passes son bac et si tu l’as,
on en reparle. » Ça a marché. Elle l’a eu et a laissé tomber sa demande.


—Quelles sont les qualités professionnelles que vous
admirez le plus?
La loyauté et la capacité à valoriser ses équipes. J’ai réalisé des choses dont
d’autres se sont attribué les mérites. Je suis vigilante là-dessus.


—Votre tenue de combat?
Pyjama bleu au bloc ou blouse blanche, évidemment. Sinon, j’ai la chance
de travailler dans un domaine où je peux porter un vieux jean.


—Connaissez-vous la solitude au travail?
Oui, quand je reçois une jeune femme enceinte après un viol, que je porte
son secret et son angoisse parce que dans sa culture c’est une honte abso-
lue. Et que je dois remuer des montagnes administratives pour l’aider.


—Professionnellement qu’est-ce que vous ne supportez
pas que l’on dise de vous?
« Elle ne lâche jamais », comme si c’était un défaut.


—Avez-vous déjà connu la misogynie dans votre travail?
Plutôt des agressions. Une nuit, quand j’étais étudiante, j’ai voulu montrer
une radio au médecin sénior qui était avec moi. Il m’a fait monter dans sa
chambre parce qu’il était « fatigué » et m’a touché les seins.


—Que faites-vous pour tenir le coup?
Je passe une journée à bouquiner sur mon transat. C’est comme si j’avais
pris une semaine de vacances. Je lis Marceline Loridan-Ivens, le journal
d’Etty Hillesum, assassinée à Auschwitz. Et Rosa Luxembourg. J’aime aussi
jardiner, nager, jouer du piano. Des Impromptus de Schubert.


—Où déjeunez-vous?
Dans mon bureau. J’emporte les restes de la maison dans un Tupperware.
Sinon, je vais à la cafèt’ de l’hôpital m’acheter un sandwich.


—Quelle drogue en période extrême?
Du chocolat. Je n’en ai pas toujours car ça serait catastrophique. Et ma nou-
velle boisson fétiche, de l’eau chaude avec du citron et du gingembre.


—Quelle est la place de votre vie privée?
Assez modeste. Je suis concentrée sur la Maison des femmes, qui prend beau-
coup de temps. Mes enfants sont adultes et mon mari est compréhensif.


—Avez-vous déjà été atteinte du syndrome de l’imposteur?
Oui, je me suis demandé : « Est-ce que je suis cap’ de mener cette mission? »
Mais parfois se poser la question, c’est juste de la lucidité. Pas parce que
l’on est une femme mais parce que la charge est importante.


—Qu’est-ce qui vous procure le plus de plaisir
dans votre travail?
Entre autres, quand une femme que j’ai soignée repart avec un grand sou-
rire en disant « Merci docteur ». Et puis les lettres des mères qui me donnent
de leurs nouvelles quinze ans après leur FIV avec moi.

cv express
Originaire du Liban, Ghada Hatem-Gantzer a créé
la Maison des femmes* en 2016. Elle y soigne
des patientes battues, violées, excisées, avec
une équipe de médecins, travailleurs sociaux,
psychologues, juristes, sexologues et conseillers
conjugaux. Elle a reçu fin 2018 le prix Simone
Veil des trophées ellesdeFrance (prix du public).
(*) lamaisondesfemmes.fr

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