SANTÉ & PSYCHOLOGIE JUIN 201386
PSYCHO
proche lorsque, comme beaucoup de céli-
bataires, on laisse libre cours à sa personnalité,
ses goûts, ses lubies et ses manies dans le domaine
exclusif qu’est son logement. Quelle jouissance
de ne pas partager sa salle de bains, d’occuper
tout le dressing, d’écouter la musique qu’on aime
plutôt que de faire la conversation au petit déjeu-
ner! Une vie autocentrée, certes, mais dont on
prend totalement le contrôle en assumant toutes
les responsabilités, des factures à l’achat de la li-
tière du chat, précieux auxiliaire de solitude.QUAND IL S E N ONT LE S MOYE NS, LE S SE NIORS
AUSSI PRÉFÈRENT L’INDÉPENDANCE
Et cette autonomie, cette obligation d’assumer
toutes les responsabilités fait un bien fou à l’es-
time de soi. Même les seniors peuvent y trouver
leur compte. La génération des babyboomers, la
première qui ait massivement osé l’exercice du
célibat ou du divorce, bref de la solitude assumée,
prend maintenant sa retraite. Et ne semble pas
regretter ses choix si l’on en juge par le résultat
de l’enquête d’une sociologue de l’université
Rutgers (New Jersey), Déborah Carr, auprès de
seniors. Après 18 mois de veuvage, seulement un
homme sur trois et une femme sur six disent sou-
haiter se remarier ; un homme sur trois et une
femme sur sept sont tentés par une éventuelle
future rencontre ; un sur quatre et une sur onze
ont envie de sortir rapidement avec quelqu’un
d’autre. Lorsque leurs revenus le permettent, les
seniors aussi préfèrent l’indépendance.
Pourtant, quel que soit l’âge, ce logement que l’on
s’est totalement approprié peut aussi paraître bien
vide et la solitude être vécue comme une souf-
france. Question d ’ histoire personnelle (lire l ’ in-
terview). Le pédiatre et psychanalyste anglais
Donald W. Winnicott a montré que « la capacité
d’être seul en présence de » est fortement liée à
la qualité des premières interactions mère-en-
fant. Si la mère sait s’identifier aux besoins de son
bébé, il pourra progressivement intérioriser sa
présence lorsqu’elle s’absente. Et pour que le bébéLa solitude de l’unique occupant
d’un foyer n’est pas le sentiment
subjectif de solitude que l’on
éprouve lorsqu’on pense n’avoir
personne à qui se confier ou que
personne ne nous connaît vrai-
ment. Un sentiment dont la vie
en couple ou en famille ne pro-
tège d’ailleurs pas forcément etqui est extrêmement délétère si
l’on en juge par les résultats de
l’étude Amstel (Amsterdam Stu-
dy of Elderly) menée par des
chercheurs néerlandais : chez les
seniors, la vie en solitaire n’a pas
d’impact sur la santé mentale
mais le sentiment de solitude
accroît de 50 % le risque de dé-mence future. Résultats confor-
tés par la méta-analyse de nom-
breux travaux démontrant que
l’isolement social réduit égale-
ment l’espérance de vie, avec un
impact sur le risque de décès
équivalent à celui du tabagisme
et plus élevé que celui de l’obé-
sité ou de la sédentarité. Les mé-faits de la solitude morale s’ex-
pliquent au moins en partie par
un durcissement des artères,
cause d’hypertension, et par une
élévation du taux d’hormone de
stress. Et comme le stress, le
sentiment de solitude est béné-
fique à petite dose mais délétère
s’il devient chronique.SE SENTIR SEUL NUIT GRAVEMENT À LA SANTÉ
LA TRAVERSÉE
DE LA SOLITUDE
EST UNE
OPPORTUNITÉ
POUR DÉPASSER
SES PEURS,
SES MANQUES,
POUR DEVENIR
PLUS FORT
puisse se construire cet espace de sécurité inté-
rieure, sa mère doit d’une part ne pas lui imposer
de trop longues absences qu’il ne pourrait tolérer
et d’autre part éviter de le surprotéger. « Le sen-
timent d’être ne peut advenir que si la solitude
est un élément structurant du psychisme et non
désorganisateur », affirme la psychanalyste Ca-
therine Audibert, auteur de l’Incapacité d’être
seul (éditions Payot).
Et même si notre enfance ne nous a pas permis
d’apprivoiser la solitude, il n’est jamais trop tard
pour prendre conscience que se retrouver seul
peut être positif. La traversée de la solitude est
une opportunité sans équivalent pour dépasser
ses peurs, ses manques et devenir plus fort. Ac-
céder à son intériorité. Cela contribue à l’épa-
nouissement personnel et à l’émergence d’une
créativité souvent insoupçonnée : « La solitudeHCAM1352_SOLITUDE.indd 86 30/04/13 10:55:05