Ça M’intéresse Hors Série Santé et Psycho N°9 – Remise en Forme

(coco) #1
JUIN 2013 SANTÉ & PSYCHOLOGIE

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Pourquoi certaines personnes
souffrent-elles de la solitude alors que
d’autres l’apprécient?
Cela vient des premières années de
l’enfance, de la qualité des relations
avec les parents ou certains adultes.
L’enfant a besoin d’une relation suf-
fisamment stable et fiable avec un
adulte pour se sentir exister. S’il a
intériorisé une bonne relation, il ne
se sent pas seul, même quand l’adulte
n’est pas là et il deviendra un adulte
supportant très bien la solitude. Il a
acquis la capacité d’être seul tout en
gardant la mémoire de liens humains
importants pour lui. Il a développé à la
fois une grande indépendance et une
familiarité avec sa propre solitude.
Au contraire, les individus qui n’ont
pas eu le sentiment d’exister dans une
relation avec des adultes, une relation
grâce à laquelle on sait que l’on est
important pour l’autre, sentent un vide
à l’intérieur d’eux-mêmes et la soli-
tude les angoisse. D’autres peuvent
relativement bien la supporter, sauf
dans les moments où ils se sentent
abandonnés et sont alors gagnés par
l’angoisse ou la panique. D’autres,
enfin, très entourés et rarement seuls
avant d’être adultes, ne supportent
pas la solitude et la redoutent d’autant
plus qu’ils s’en font une montagne.
Mais l’isolement social et relationnel
provoque peu à peu chez tout être
humain, même le plus robuste et le
plus autonome, une difficulté à
supporter d’être seul, sans lien avec
autrui. Dans une situation d’isolement,
la mémoire de tels liens humains
vacille ou commence à faire défaut.
L’isolement peut aussi correspondre
à une situation de grande et profonde
solitude qui se prolonge et s’installe.

Comment expliquer que l’on puisse
aimer vivre ou voyager seul à un certain
âge, et plus tard le redouter?
Nous évoluons au cours de notre vie et
ce dont nous étions sûrs que cela nous
correspondait il y a quinze ans ne nous
correspond plus. Jeune, on éprouve
une sorte de témérité, l’impression
d’être invulnérable. Puis viennent

des ruptures
amoureuses, la perte
des parents et
l’avancée en âge qui
nous rendent plus
vulnérables. Alors
apparaissent des
angoisses face
à la solitude. Avoir vécu et perdu des
êtres chers nous rend aussi plus
riches, plus fragiles, sensibles,
intéressants, tendres, compatissants...

Comment savoir si on apprécie
vraiment la solitude ou si on masque
la peur du vide avec force occupations
et réseaux sociaux?
Un emploi du temps toujours très
occupé masque une très grande
peur d’être seul. Les personnes qui
redoutent la solitude vont se débrouiller
pour avoir tout le temps quelque chose
à faire ou se trouver sans discontinuité
en contact avec d’autres, y compris par
le biais du téléphone ou des réseaux
sociaux qui mettent en relief leur vide
intérieur. Elles peuvent instaurer des
routines qui deviennent des rituels pour
exorciser la peur d’être seul.

Pourquoi certains préfèrent-ils ne pas
faire de rencontre?
Parce que cela leur convient vraiment.
Ou qu’ils n’ont pas pu faire le deuil
d’un ancien amour. Par exemple, après
une rupture, une femme se dit qu’elle
ne pourra plus vivre un tel amour,
trouver un homme à la hauteur du
précédent : lorsqu’elle fait une
rencontre, elle se débrouille pour que
ce début d’histoire ne puisse aboutir.
Elle doit d’abord faire le deuil de
l’homme qu’elle a idéalisé. Il existe
aussi des individus qui ont très peur
de l’affection, de la tendresse, peur de
s’attacher à quelqu’un et de le perdre.
Ils préfèrent rester seuls par peur de
l’abandon et de la sexualité amoureuse,
même s’ils ont une vie sexuelle. Enfin,
quand une rupture est vécue comme
un échec, on pense que l’on ne
connaîtra plus l’amour. Il faut aller voir
de près ce qui n’a pas marché pour
s’en libérer et retrouver confiance.

est une formidable occasion pour évoluer, gran-
dir, mûrir, devenir soi-même et apprendre à
compter sur soi, explique le psychanalyste Save-
rio Tomasella. Dans une relation affective, sur-
tout amoureuse, nous avons tendance à deman-
der à l’autre de combler nos manques, de parer
nos défaillances, de prendre les responsabilités
que nous ne voulons pas endosser, de nous ap-
porter les satisfactions que nous attendons...
Lorsque nous sommes seuls, nous sommes face
à nous-mêmes, contraints d’aller chercher en nous
tout ce que nous demandions alors à l’autre : nos
propres ressources. » Et l’on en sort grandi.
Dans une société où l’on est en permanence
connectés les uns aux autres et où l’ennui est no-
tre ennemi, la solitude est une parenthèse de si-
lence. « Les expériences affectives et intellectuel-
les les plus intimes naissent des moments où nous
parvenons à faire le vide », dit Anne de Malleray,
dans la Solitude (collection Le monde expliqué
aux vieux, éd. 10/18). Mais nombre d’entre nous
doivent apprendre à ne rien faire, d’abord à se re-
laxer et se reposer, ce qui ne veut pas forcément
dire s’ennuyer, explique S. Tomasella, mais « faire
l’expérience d’autre chose, d’une nouvelle façon
d ’ être, d ’un lâcher prise, d ’une détente, donc d ’une
possibilité de changer, de voir autrement les si-
tuations habituelles et de devenir plus créatif ».
Accepter la solitude et la vivre est un temps de ré-
conciliation avec soi-même, un temps pour se
connaître, apprendre à s’aimer et devenir capable
d’aimer pour aimer et non pour s’accrocher

Psychanalyste, auteur des Amours impossibles, accepter d’aimer
et d’être aimé, et d’Hypersensibles, aux éditions Eyrolles.

SAVERIO TOMASELLA


INTERVIEW


ÉRIC MALHERBE

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