LeSoir - 2019-08-02

(Michael S) #1
10 monde

NATIONS UNIES


Des abus de


pouvoir dénoncés


au sommet


de l’Unrwa


L’agence des Nations unies pour les
réfugiés palestiniens, l’Unrwa, est plon-
gée dans la tourmente. Déjà en proie à
une crise financière intense depuis 2018
et la décision de Donald Trump de
mettre fin au financement américain
annuel de l’agence (300 millions de
dollars), voilà qu’est exposé sur la place
publique un rapport interne « confiden-
tiel », daté de décembre 2018, qui met
gravement en cause la gestion de
l’agence par son commissaire général, le
Suisse Pierre Krähenbühl et trois de ses
proches collaborateurs.
« Agissements à caractère sexuel inap-
propriés, népotisme, représailles, discri-
minations et autres abus d’autorité,
commis à des fins personnelles, pour
réprimer des divergences d’opinion
légitimes » : la liste des accusations
contenues dans le rapport rédigé l’an
dernier par le département éthique de
l’agence est effarante. Ce rapport « confi-
dentiel » a été envoyé il y a plus de sept
mois au secrétaire général des Nations
unies Antonio Guterres. C’est Al-Jazeera
qui, la première, a diffusé l’information.
La Belgique, la Suisse et les Pays-Bas ont
annoncé qu’ils suspendaient leur aide
financière à l’agence.
L’Unrwa est une institution importante
aux yeux des Palestiniens. Créée en 1949
par les Nations unies pour s’occuper des
quelque 700.000 Palestiniens qui avaient
fui ou dû fuir leur terre natale pendant la
guerre d’indépendance d’Israël, l’agence
veille aux besoins de 5,4 millions de
réfugiés. Elle emploie 30.000 personnes,
des Palestiniens pour la plupart, et aide
les réfugiés en matière sanitaire, sociale
et éducative. Israël et ses meilleurs alliés
considèrent qu’elle doit être démantelée
au motif qu’elle entretient l’espoir du
retour (en Israël) des descendants des
réfugiés de 1948.
Mais ici, le problème se rapporte à la
gestion et au comportement de celui qui
occupe depuis mars 2014 le siège de
commissaire général, le diplomate gene-
vois Pierre Krähenbühl. Les abus de
pouvoir allégués concernent le commis-
saire et son « cercle rapproché » : trois
personnes, dont sa conseillère, avec qui
il aurait une relation sentimentale, et qui
l’accompagnerait dans tous ses très
nombreux déplacements. Les deux
autres hauts responsables incriminés par
le rapport ont quitté l’agence ces der-
niers temps. L’un d’eux, mis en cause
pour son comportement de « voyou » et
ses intimidations, a été limogé.
L’ONU indique qu’une enquête est en
cours depuis quatre mois et l’Unrwa dit y
collaborer. Pierre Krähenbühl, qui a
désactivé son compte Twitter, crie son
innocence et annonce par communiqué
que « si l’enquête en cours – une fois
terminée – devait présenter des conclu-
sions nécessitant des mesures correc-
tives ou d’autres mesures de gestion,
nous n’hésiterons pas à les prendre ».
Il paraît néanmoins évident que si les
enquêteurs des Nations unies devaient
confirmer les accusations du rapport du
département éthique de l’Unrwa, la
position du commissaire à la tête de
l’agence deviendrait intenable, et cela
même si son bilan n’est sûrement pas
exempt de points positifs puisqu’il avait
réussi en 2018 à trouver les finance-
ments pour combler une grande partie
du déficit budgétaire. L’ONU a annoncé
ce jeudi la désignation d’un adjoint à
Pierre Krähenbuhl, le Britannique Chris-
tian Saunders. Un signe de ce qui va se
passer? BAUDOUIN LOOS


Pierre Krähenbühl, commissaire géné-
ral de l’Unrwa.© AFP.


ÉCLAIRAGE
PHILIPPE REGNIER

L

e monde sera-t-il – encore – plus
dangereux après ce 2 août 2019?
Avec plus de missiles? C’est, ce
vendredi, qu’un traité international his-
torique va officiellement voler en éclats.
Une pierre angulaire du désarmement
nucléaire érigée en 1987 au crépuscule
de la guerre froide entre l’Occident et
l’Union soviétique disparaît : le traité
sur les forces nucléaires à portée inter-
médiaire (FNI), qui avait éliminé du ter-
ritoire européen les missiles soviétiques
SS20 et les Pershing américains.
Depuis des années, les Etats-Unis ac-
cusent la Russie de ne plus respecter ses
obligations, souscrites au titre de ce
texte signé par les présidents américain
et soviétique de l’époque, Ronald Rea-
gan et Mikhaïl Gorbatchev. Le compte à
rebours était lancé le 1erfévrier dernier.
Washington avait formellement dénon-
cé le traité. Le lendemain, le Kremlin lui
emboîtait le pas. Débutait alors un dé-
compte de six mois, avant la mort défini-
tive du traité, ce 2 août.
Il n’y aura pas d’ultime revirement de
Moscou. Personne, côté occidental, n’y a
d’ailleurs jamais vraiment cru. La Rus-
sie a encore répété cette semaine qu’elle
ne se plierait en aucun cas à « l’ultima-
tum US » : « Nous ne l’avons jamais

fait », a martelé mardi le vice-ministre
des Affaires étrangères Sergueï Ryab-
kov, dans une interview à la chaîne bri-
tannique Sky News.
En décembre dernier, les alliés euro-
péens des Etats-Unis s’étaient ralliés à la
démonstration américaine selon la-
quelle la Russie « triche » et ne respecte
pas ses engagements. Les renseigne-
ments néerlandais auraient, de façon in-
dépendante, corroboré cette analyse.

Compétition féroce
Ce vendredi, l’Otan va regretter la fin du
traité. Rappeler l’attachement « ferme
des Alliés au maintien d’un système in-
ternational efficace de maîtrise des ar-
mements, de désarmement et de non-
prolifération » de l’arme atomique. Dé-
plorer que la Russie ne s’est pas remise
en conformité avec les impératifs du do-
cument. Souligner qu’un traité violé par
l’un de ses signataires a perdu sa raison
d’être. Et, donc, rejeter la « totale res-
ponsabilité de la mort du traité » sur
Moscou – qui accusera au contraire Wa-
shington d’être responsable de la situa-
tion. C’est de « bonne » guerre...
« La fin de ce traité peu connu n’est
pas anecdotique », avertit Bruno Hel-
lendorff, dans une récente étude pour le
think tank Egmont (Bruxelles). « Non
seulement va-t-elle encore davantage
tendre la relation Etats-Unis/Russie et

contrarier les Alliés, mais elle va aussi
contribuer à l’érosion de ce qui subsiste
de l’architecture globale de contrôle des
armements et encourager une tendance
à la course aux armements entre
grandes puissances. »
Cette « érosion », note l’expert, était
« difficilement évitable », dans le
contexte post-guerre froide. En 2002,
l’administration Bush se retirait déjà du
traité ABM (anti-missiles balistiques).
Aujourd’hui, les grandes puissances se
sont réengagées dans une compétition
féroce. La tension monte. Et la Chine a
engagé un programme très ambitieux de
missiles, cependant que de nouvelles
menaces émergent, de la Corée du Nord
à l’Iran.

Larmes... de crocodile?
En réalité, tant Washington que Moscou
avaient un intérêt à carboniser le traité.
Cette conjonction d’intérêts montre
même que les jours du FNI étaient
comptés... depuis longtemps. En 2007,
la Russie et les Etats-Unis se fendaient
déjà d’une déclaration commune à
l’ONU – restée lettre morte – pour
« conférer un caractère global » au trai-
té.
Pour l’Amérique « Great Again », le
vrai défi géostratégique à long terme, ce
n’est pas (plus) la Russie, à la population
déclinante et à l’économie poussive,

Pourquoi Trump et Poutine

ont tué le testament

de Reagan et Gorbatchev

MAÎTRISE DES ARMES NUCLÉAIRES

La sécurité

mondiale

pleure la mort

d’un pilier du

désarmement.

Le traité sur les

forces à portée

intermédiaire

disparaît et

celui sur les

missiles

stratégiques

vacille. Les

grandes

puissances

nucléaires... y

trouvent leur

compte.

Le 8 décembre 1987,
Mikhaïl Gorbatchev et
Ronald Reagan signaient
le traité FNI, qui allait
éliminer du territoire
européen l’ensemble des
missiles nucléaires amé-
ricains et soviétiques
d’une portée de 500 à
5.500 km. © REUTERS.

PH.R.

V

oilà des mois que l’Otan fait savoir
que l’Alliance atlantique ne restera
pas les bras ballants face aux nouveaux
missiles russes. « Nous sommes prêts
pour un monde sans traité FNI, avec da-
vantage de missiles russes », a asséné
mercredi le secrétaire général de l’Al-
liance atlantique Jens Stoltenberg, en
recevant à Bruxelles la nouvelle ministre
allemande de la Défense Annegret
Kramp-Karrenbauer. Le 26 juin dernier,
les ministres de la Défense des pays de
l’Alliance avaient « décidé que l’Otan de-
vrait réagir si la Russie ne revenait pas à
un respect du traité ».
Pour l’Otan, « les missiles russes
SSC-8 violent le traité FNI et constituent
une menace significative pour notre sé-
curité. Or la Russie continue de produire
et de déployer ces missiles SSC-8 », sou-
tient le numéro 1 de l’Alliance. Ces
armes, ajoute-t-il, sont « à double usage,
peuvent transporter des têtes nucléaires,
peuvent atteindre des villes européennes

en quelques minutes, sont mobiles, diffi-
ciles à détecter, ce qui dès lors abaisse
aussi le seuil de l’utilisation potentielle
d’armes nucléaires dans un conflit ».
Une vingtaine de ces missiles seraient
déjà déployés, opérationnels dans quatre
bataillons, selon diverses sources occi-
dentales.

La « crise des euromissiles »
Mais la riposte ne sera pas symétrique,
sur insistance des Européens : il n’y aura
pas de déploiement sur le sol européen
de nouveaux missiles nucléaires. L’Otan
veut éviter la réédition de la « crise des
euromissiles », quand le face-à-face des
SS-20 soviétiques et des Pershing II
américains dans les années 1980 avait
enflammé l’opinion.
Mais il y aura des conséquences.
« Nous ferons ce qui est nécessaire pour
maintenir une dissuasion et une défense
crédibles », assure Jens Stoltenberg.
La riposte, « mesurée », relèvera de la
défense « conventionnelle » : défense
aérienne et anti-missiles, renseigne-

ment, exercices et aussi de nouvelles ini-
tiatives en matière de contrôle des arme-
ments, a énuméré mercredi le secrétaire
général.

Tests US et missiles en Pologne
Selon nos informations, les Etats-Unis
devraient reprendre dès ce mois d’août
des essais de missiles à portée intermé-
diaire, non nucléaires, et pas en Europe.
Le déploiement de nouveaux missiles
conventionnels (non nucléaires) à
moyenne portée serait aussi une option à
l’étude. La Pologne serait même candi-
date. Au début de l’année, le tout juste
retraité secrétaire général adjoint aux
« défis de sécurité émergents » de l’Otan,
Jamie Shea, observait que le FNI n’em-
pêchait pas de développer des systèmes
de missiles aériens ou navals.
Le système de défense anti-missiles
mis au point par les Etats-Unis pour
l’Otan en Europe pourrait aussi être
étoffé. Une base sera bientôt opération-
nelle en Pologne, une autre existe déjà en
Roumanie et des navires de guerre équi-

riposte « Prêts pour un monde avec davantage de
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