LeSoir - 2019-08-02

(Michael S) #1
monde 9

THE MAJOR WWII SITE OF MEMORY IN THE ARDENNES (BE)





MAURIN PICARD
CORRESPONDANT À NEW YORK

U

ne île à la dérive, en proie à une ré-
volte populaire contre ses élites
corrompues, deux ans à peine après
avoir été dévastée par le cyclone Maria :
tandis qu’elle se remet à peine de cette
catastrophe (3.000 morts), Porto Rico
doit désormais affronter une très sé-
rieuse crise politique.
Ce vendredi, à 17 heures locales –
11 heures en Belgique –, le gouverneur
Ricardo Rossello démissionnera de ses
fonctions, poussé dehors par deux se-
maines de houleuses manifestations,
nées de ses propos sexistes, homo-
phobes.
Des centaines de milliers de per-
sonnes, sur cette île des Grandes Antilles
comptant tout juste 3 millions d’habi-
tants, exigeaient le départ du gouver-
neur jugé incompétent et corrompu face

à l’ampleur des travaux de reconstruc-
tion des infrastructures.

Une sombre décennie
Ce sont pourtant bien les propos inad-
missibles de Rossello qui auront scellé
son sort : mi-juillet, le Centre de journa-
lisme d’investigation de Porto Rico avait
révélé le contenu des messages échangés
par le gouverneur et onze hauts respon-
sables locaux, anciens ou actuels, sur
l’application cryptée Telegram. Les
douze édiles rivalisaient de commen-
taires insultants, ciblant en premier lieu
la célèbre vedette Ricky Martin. Celui-ci
« est tellement macho qu’il couche avec
des hommes parce que les femmes ne
sont pas à la hauteur », aurait ainsi lâché
le secrétaire des Finances Christian So-
brino, qui a démissionné le premier face
à la vindicte populaire.
Epiphénomène d’une crise profonde,
ce scandale vient clôturer une sombre
décennie, qui aura vu l’île sombrer éco-
nomiquement, frappée en 2006 par la
suppression des avantages fiscaux dont
elle bénéficiait. Caisses vides, écrasé par
une dette de 73 milliards de dollars, le
pays se déclare en faillite le 3 mai 2017,
quatre mois avant d’être ravagé par le cy-
clone Maria.

« Une quasi-colonie »
Ancienne colonie espagnole et « Etat
libre associé » des Etats-Unis depuis
1952, Porto Rico est un cas à part dans la
démocratie américaine : ses habitants
sont des citoyens américains, mais ils ne
peuvent voter à l’élection présidentiel-
le.« C’est une quasi-colonie qui n’a pas
les moyens de faire des demandes de prêt

aux organisations internationales », pré-
cise Audrey Célestine, de l’université de
Lille.
Résultat, pour un peuple qui n’a connu
que la crise depuis treize ans, alors que
les Etats-Unis se redressaient après la
« Grande récession » de 2008 sous l’im-
pulsion de Barack Obama, plus de
200.000 résidents portoricains ont fui
leur île natale pour rallier le continent,
où la communauté portoricaine dépasse
désormais en nombre ceux restés der-
rière.
Le 13 juin 2017, Porto Rico avait voté
pour devenir le 51eEtat fédéré améri-
cain. Deux ans plus tard, le Congrès des
Etats-Unis n’a toujours pas ratifié cette
mesure, l’administration Trump expri-
mant ouvertement son hostilité envers
un territoire considéré comme un far-
deau pour le reste du pays, en raison de
sa pauvreté, de son taux de chômage
deux fois supérieur (8 %) à la moyenne
nationale, et de sa vulnérabilité aux tem-
pêtes tropicales.
Les élus du Congrès ont beau jeu de
rappeler que le taux d’abstention lors du
référendum de 2017 fut massif, seuls
23 % des électeurs ayant exprimé leur
suffrage. Depuis l’élection de Donald
Trump et son investiture, le 20 janvier
2017, les rangs des partisans d’un réfé-
rendum d’autodétermination pur et
simple, antichambre d’une déclaration
d’indépendance, ne cessent de croître,
attisés par le biais hispanophobe du lo-
cataire du Bureau ovale. Que décidera le
successeur désigné de Ricardo Rossello,
Pedro Pierluisi, jusqu’ici représentant de
Porto Rico à Washington, et déjà contes-
té par l’opinion insulaire?

Le gouverneur s’en va, dans un contexte politique pesant

PORTO RICO


Ricardo Rossello

démissionne ce vendredi,

poussé dehors par deux

semaines de manifestations

houleuses. Le point d’orgue

d’une interminable crise

politique pour une île

déjà soumise à bien

des déboires économiques

et climatiques.

Océan
Atlantique

Golf
du Mexique

PORTO RICO

ÉTATS-UNIS

CUBA

HAÏTIRÉP.
DOMINICAINE

MEXIQUE

BAUDOUIN LOOS

L

a province d’Idlib dans le nord de
la Syrie ploie sous les bombes et
les civils se meurent dans l’indif-
férence générale. Depuis la fin du mois
d’avril, l’aviation du régime de Bachar el-
Assad appuyée par les bombardiers de
l’aviation russe bombarde sans relâche
ce territoire, le dernier qui lui échappe si
l’on excepte l’Est aux mains des forces
kurdes. Le bilan humain s’alourdit de
manière quotidienne. Selon les sources,
entre 450 (ONU) et 750 civils (Observa-
toire syrien des droits de l’homme) ont
déjà perdu la vie en trois mois dans ce
coin de Syrie où les groupes armés re-
belles, dominés par des djihadistes non
affiliés à Daesh, Hayet Tahrir al-Sham,
tiennent encore le haut du pavé. La Tur-
quie a déployé des troupes et des postes
d’observation autour de la zone, crai-
gnant un nouvel afflux de réfugiés. Sur
les trois millions de résidents, dont la
moitié sont déjà des réfugiés d’autres ré-
gions, 450.000 ont dû fuir leurs foyers.

« Un combattant pour 100 civils »
Les appels des organisations humani-
taires se multiplient sans émouvoir Da-
mas ou Moscou. Accusés de viser des
cibles civiles, ils répondent que 119 hôpi-
taux ont été réquisitionnés par « les ter-
roristes », pour justifier leurs actions lé-
tales venues du ciel. Mais, sur place, per-
sonne ne confirme cette information.
Jeudi soir, Damas indiquait accepter un
cessez-le-feu dans la région d’Idlib, à
condition que l’accord de désescalade
(conclu en septembre 2018 entre la Rus-

sie et la Turquie) soit appliqué. Une an-
nonce qui laisse sceptique.
Ce 30 juillet à New York, le sous-secré-
taire général aux Affaires humanitaires
des Nations unies, Mark Lowcock, s’est
adressé au Conseil de sécurité pour lan-
cer un long et vibrant appel qui visait les
Russes au premier chef : « Depuis plus
de 90 jours, les bombardements menés
par le gouvernement syrien soutenu par
la Fédération russe ont produit un car-
nage. » Et de citer la Haute commissaire
aux droits de l’homme Nicole Bachelet :
« Malgré les appels répétés de l’ONU,
cette dernière campagne de frappes aé-
riennes sans relâche par le gouverne-
ment syrien et ses alliés continue de tou-
cher des dispensaires de soins, des écoles
et d’autres infrastructures civiles comme
des marchés ou des boulangeries. Etant
donné la répétition des attaques, il paraît
hautement douteux qu’ils aient été tou-
chés par accident. »
Mark Lowcock s’est attaché à démon-
trer la pertinence des sources onu-
siennes, « recoupées, revues et confir-
mées », qui lui permettent par exemple
d’avancer que « 17 villages ont été
presque entièrement détruits et vidés de
leurs habitants. (...) Nous constatons un
niveau de destruction qui s’apparente à
une campagne de bombardements qui
pratique la terre brûlée ». « Nous sa-
vons », ajouta-t-il, « que des membres
du Conseil de sécurité ont inscrit Hayet
Tahrir al-Sham dans la liste des groupes
terroristes qui rendent la vie des gens or-
dinaires d’Idlib très difficile, mais nous

savons que les estimations suggèrent
qu’il y a un rapport de 1 à 100 entre eux,
un combattant pour cent civils. »
Un autre appel a été lancé par Méde-
cins sans frontières ce 31 juillet, qui
évoque un hôpital de la région : « Les pa-
tients, les soignants et l’ensemble du per-

sonnel de l’hôpital sont eux-mêmes en
proie à des troubles psychologiques »,
témoigne le directeur. « Le simple survol
de l’hôpital par des avions les terrifie au
point que plusieurs membres d’équipes
en arrivent à quitter le bâtiment. (...)
Certains hôpitaux de la région des-
servent des dizaines de milliers de per-
sonnes. Nous n’avons pas d’autres choix
que de rester là, pour eux, lorsqu’un évé-

nement survient. »
Lorena Bilbao, coordinatrice des opé-
rations pour les programmes MSF en Sy-
rie, explique dans ce message : « Nous
sommes actuellement confrontés à des
centaines de milliers de personnes dé-
placées vivant dans des conditions épou-
vantables. De nombreuses aggloméra-
tions sont surpeuplées, leurs infrastruc-
tures inadéquates et leurs conditions de
vie sont peu hygiéniques. Cela pose un
risque important de propagation de ma-
ladies. Si les gens n’ont pas d’eau potable,
on peut s’attendre à un plus grand
nombre de patients souffrant de déshy-
dratation, de diarrhées et de maladies
liées à l’eau au cours des prochaines se-
maines. Cela conduira à la détérioration
d’une situation d’ores et déjà critique. »
Pour Kareem Shaheen, correspondant
du Guardian, « il s’agit d’un programme
d’atrocités systématiques concocté par
ceux qui ne craignent aucun châtiment
ou condamnation, car ils sont sûrs que le
monde est las d’entendre parler des souf-
frances des Syriens innocents ».

L’ONU dénonce un « carnage »

dans la province d’Idlib

SYRIE


Les bombardements du

régime soutenu par

l’aviation russe sur la

zone rebelle visent les

civils, accusent les

Nations unies. Dans

l’indifférence générale.

Les civils sont les principales victimes des bombardements qui s’abattent sur
Idlib, réduisant des pans entiers de la ville à un champ de ruines. © REUTERS.

Hayet Tahrir al-Sham, le
groupe djihadiste qui
domine dans la province
d’Idlib, en Syrie, est issu
de la fusion en 2017
d’une série de groupes
rebelles islamistes radi-
caux. Le principal de ces
groupes, le Front al-
Nosra, avait rompu aupa-
ravant avec Al-Qaïda
dont il se revendiquait
sans pour autant épouser
son agenda d’attentats à
travers le monde. Le
mode de domination du
groupe sur la population
de la province d’Idlib a
soulevé de nombreuses
protestations. Human
Rights Watch a d’ailleurs
accusé le groupe d’arres-
tations arbitraires et de
tortures. B. L.

« HTS » est issu
d’Al-Qaïda

JORDANIEJORDANIE

LIBANLIBAN IRAKIRAK

100 km

Damas

Idlib

SYRIE SYRIE

TURQUIE

ARABIE SAOUDITEARABIE SAOUDITE

Sur les trois millions de
résidents, dont la moitié sont
déjà des réfugiés d’autres
régions, 450.000 ont dû fuir
leurs foyers
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