ELLE.FR 57
ELLE MAG / PSYCHO
RÉINVESTISSEZ
VOTRE CORPS
On n’a jamais rien inventé de mieux
que s’occuper de son corps pour se
relaxer. « Les outils pour y arriver
restent hautement individuels, précise
Nadia Droz, psychologue spécialiste
en santé au travail (1). On nous vend la
méditation comme la recette miracle,
mais même le sport est une forme de
méditation. L’important est de trouver
une activité où l’on est centré sur son
corps et ses sensations, pour revenir à
soi. » Bref, assis en tailleur ou en train
de fendre vigoureusement l’eau dans
une ligne de crawl, qu’importe, du
moment qu’on réinvestit sa carcasse.
« Ne pas oublier non plus d’écouter ce
dont le corps a besoin. » Boire dès
qu’on a soif, aller aux toilettes quand
on en ressent l’envie... Cela paraît idiot
mais, selon la psychologue, de plus
en plus de gens remettent à plus tard
ces simples besoins vitaux.
CESSEZ DE VOUS JUGER
Pour la philosophe Laurence Devillairs (2), « les plus grands penseurs de la
sérénité restent les stoïciens, dont l’actuel développement personnel s’inspire
beaucoup, car le stoïcisme est une philosophie de crise ». Le grand principe?
« Gagner en sérénité en arrêtant de se faire des films et en changeant ses
jugements maladifs sur les choses et sur soi-même. Est-ce qu’untel est vraiment
plus heureux que nous, ou est-ce notre jugement qui est faussé parce que
nous imaginons toujours l’herbe plus verte ailleurs? Est-ce que tel autre réus-
sit mieux , ou est - ce notre vision qui est troublée par notre propre
ambition? Et ainsi de suite. Le stoïcisme suggère aussi d’avoir
la force d’accepter les choses que l’on ne peut pas changer,
le courage de changer les choses qui peuvent l’être, et la
sagesse de faire la différence. C’est un principe exigeant, mais
qui permet d’accompagner le mouvement. »
VOYEZ
L’ARTISTE
EN VOUS
Quand l’intranquillité nous
dévore parce que nous
ne savons pas dire non
à ce qui nous maltraite (nous,
les autres, la vie), difficile
de faire l’économie d’un vrai
travail sur soi. « En thérapie,
on est certes bousculé, mais
la sérénité arrive après, quand
on parvient à se représenter
les conflits qui nous traversent
et à cohabiter avec eux,
souligne le psychologue
clinicien Samuel Dock (3).
D’ailleurs, la psychanalyse
a pensé la sérénité. Pour
Freud, cela consiste à ne plus
éprouver, donc être décédé.
Il y a quelque chose d’assez
plaisant dans cette définition
qui rappelle que le tumulte
intérieur est inévitable! Pour
le pédopsychiatre Donald
Winnicott, la sérénité consiste
à se sentir en accord avec
le monde qui nous entoure,
en étant créatif. Il ajoute que
même griller des saucisses
peut devenir de l’art, car
les choses simples nous
permettent de nous sentir
maîtres de notre existence,
dans l’instant. Être serein, c’est
à la fois accepter d’être
traversé par des moments
désagréables sans
s’effaroucher, car ils finissent
par passer, et ne pas oublier
d’être créatif. »
REFUSEZ LA PERFECTION
Notre pire frein à la sérénité? Nous, bien sûr. Cherchant sans cesse à être à la hauteur de ce monde
d’images. Passant deux heures à peaufiner notre profil Instagram pour qu’il soit à la hauteur des
influenceuses, deux autres à ranger la maison pour qu’elle ressemble aux intérieurs des magazines
déco, après déjà toute une journée à tenter de prouver à son N+1 revêche que nous valons mieux
que l’image dévalorisante qu’il nous renvoie... Stooop! « Certaines conditions favorisent l’épuise-
ment, notamment quand il y a du stress chronique dans tous les domaines parce que l’on a des exi-
gences personnelles élevées avec une tendance à tout surinvestir, prévient Nadia Droz. Il faut alors
prioriser ses activités et apprendre à accepter de laisser entrer le désordre. »
APPRENEZ L’ÉGOÏSME
« Regardez moins d’infos et centrez-vous sur votre vie :
la sérénité passe par une forme d’égoïsme qui permet
de trouver une paix intérieure suffisante », assure
Nadia Droz. Car le monde contemporain nous renvoie
à beaucoup de problèmes à tous niveaux, y compris
ceux du bout du globe sur lesquels nous n’avons
aucune prise, ce qui est très anxiogène. Donc être plus
égocentrée procure du calme. Cela signifie faire le tri
dans ce qui nous fait du bien ou pas, amis inclus,
pour se protéger des relations toxiques qui nous épuisent.
Au travail aussi, ne pas hésiter à revenir à soi et
s’accorder du répit. En allant se faire un thé ou en surfant
sur Internet, en prenant le temps de se demander
comment on se sent après une réunion, etc. » Et le reste
du monde attendra!
RÉVISEZ VOS VALEURS
« Notre société ne vit qu’à travers la performance, dès
l’école. Et il y a très peu d’endroits où l’on peut exprimer
d’autres compétences, qui nous correspondent vraiment
et diffèrent de la performance, observe Nadia Droz.
On doit réussir ses enfants, son travail, ses vacances,
sa ménopause... Même la séance de yoga, censée
détendre, doit être “efficace” en faisant travailler
tout le corps en une heure. Sauf qu’à force on tombe
dans un déséquilibre de ressources : on travaille trop,
on ne voit plus ses amis ni sa famille, on est en boucle
et on finit par réunir toutes les conditions du burn-out.
En arrêtant de faire de sa vie un défi, en se posant la
question des valeurs essentielles pour soi et en essayant de
s’en approcher au quotidien, on retrouve de la sérénité. »
- Coauteure de « Burnout, la
maladie du XXIe siècle? » (éd.
Favre). 2. Auteure d’« Un bonheur
sans mesure » (éd. Albin Michel) et
« Être quelqu’un de bien » (éd. PUF). - Auteur d’« Éloge indocile de la
psychanalyse » (éd. Philippe Rey).
En librairie le 5 septembre.
ACTIVEZ LE MODE
AVION
« Si regarder les réseaux sociaux vous
détend, très bien. Mais s’ils vous font
vous sentir plus mal à l’aise, freinez
cette énième course à l’immédiateté,
conseille Nadia Droz.
Car les réseaux sociaux multiplient
les interruptions volontaires en
envahissant jusqu’aux temps de
détente, comme celui où on cuisine
ou celui où on regarde un film. Il faut
se demander quelles sont les priorités.
Sa relation à ses proches ou bien
savoir ce que le monde entier vient
de dire? C’est d’ailleurs pour ça que
la méditation est à la mode : c’est
le seul moment où l’on s’autorise
à se couper du monde. Mais on peut
prendre du recul sans méditer, en se
disant qu’à partir d’une certaine heure
on ne consulte plus son téléphone,
par exemple. »
PHOTO SEAN MCMENOMY. STYLISTE MIE JUEL. MANNEQUIN CAMILLA CHRISTENSEN/LE MANAGEMENT.