63
POITIERS / LIMOGES. 139 KM, 1 H 59
(30 MINUTES DE RETARD).
On se croirait dans un train fantôme. Sur le quai d’en face, une foule
compacte qui attend le TGV pour Paris. Dans le TER à wagon unique,
quatre voyageurs tout au plus ont pris place. Le train s’ébranle. La
rame chaloupe à un rythme régulier, comme une berceuse. Une
dame, qui lisait la Bible, descend au premier arrêt. Elle nous laisse
seuls au paradis. Le train se fraye un passage au milieu d’une végé-
tation luxuriante. Les branches cognent contre les vitres. Les feuilles
scintillent comme des boules de Noël. Le blé moissonné a redessiné
les champs. On voyage aux pays de Millet et de Miyazaki. Au Dorat,
le train s’arrête. « Des orages se sont abattus dans la région de
Limoges, le train qui circule dans l’autre sens a pris du retard, il faut
qu’on at tende pour le laisser passer car il n’y a qu’une voie, explique
à chaque passager le contrôleur souriant. Comme les chefs de gare
ont disparu de la plupart des arrêts, il est impossible d’organiser un
croisement de trains dans une gare un peu plus loin. Nous devons
patienter. » La jeune conductrice descend se rouler une cigarette
avant de repar tir. Personne ne peste. « Les passagers sont plus déten-
dus ici, reconnaî t le contrôleur. Sur un Orléans - Paris, l’ambiance n’est
pas la même. Quelques minutes de retard et c’est toute la machine
qui se grippe pour eux. » À l’heure où la SNCF ferme ses agences et
renvoie ses passagers vers des bornes automatiques ou sur Internet,
la présence de ce contrôleur bonhomme est précieuse. Le train
reprend sa route au milieu des fougères et des cours d’eau que l’on
suit à faible allure. On voudrait une nouvelle fois ouvrir la fenêtre pour
immerger tous nos sens dans cette folle verdure.
d’arrêt en gare. On entend les premiers soupirs face aux retards qui
s’annoncent. Entre Amiens et Paris, on voyage utilitaire, pas contem-
platif. Les yeux rivés sur son Smartphone, on ne regarde pas par la
fenêtre, on connaît par cœur ce paysage d’affiches électorales, cet
océan doré par les moissons récentes, entrecoupé de forêts et de
clochers. Puis vient Creil, qui préfigure l’agglomération parisienne.
Des barres d’immeubles apparaissent, comme des jeux de quilles
au milieu d’un grand jardin. Les zones pavillonnaires complètent la
maquette. On longe Chantilly et ses jardins ouvriers coquets. Bientôt,
la gare du Nord. Il faut reprendre le rythme : marcher droit, allure
vive. Ici, on circule ou on consomme. Transformées en centres com-
merciaux, les gares parisiennes ne laissent plus de place aux rêveurs.
PARIS-AUSTERLITZ / TOURS. 235 KM, 2 H 06.
Gare d’Austerlitz, les dames pipi sont en grève, les toilettes sont fer-
mées. La SNCF va changer de prestataire, elles vont se retrouver sur
le carreau. Et dans les trains Corail comme dans les TER, interdiction
d’utiliser les toilettes en gare. Envie pressante, vous repasserez! Le
train s’élance enfin. Le compartiment est presque plein. Des étudiants
et des actifs pour qui c’est un deuxième bureau : TER ou TGV, il n’y a
pas de différence. « Enfin si, au moins, dans le TGV, il y a un bar »,
glisse une jeune voyageuse. On prend indif féremment l’un ou l’autre
en fonction des horaires. Entre la capitale et Tours, c’est déjà la
concrétisation du Grand Paris. Aux Aubrais, une armée d’hommes
cravatés descendent et enfourchent leurs trottinettes sous le soleil
rasant. La clim empêche d’ouvrir les fenêtres. Remontent alors les
souvenirs des wagons fumeurs et des vitres coulissantes qui permet-
taient de lâcher ses cheveux au vent, comme dans une comédie
romantique. Dehors, les éoliennes ont remplacé les arbres au milieu
des plaines céréalières. Les vestiges bétonnés de l’Aérotrain, auquel
fut préféré le TGV, nous accompagnent pendant de longs kilomètres.
JOUR 2
TOURS / POITIERS. 100 KM, 1 H 14.
Les gares au petit matin ressemblent à des décors de western. À
Villeperdue, personne ne monte, ni ne descend. Maillé, Port-de-Piles,
Les Ormes-sur-Vienne, Dangé, Ingrandes-sur-Vienne... Les arrêts se
succèdent, quais déserts, comme laissés à l’abandon. La nature a
repris ses droits. La ligne serpente au milieu des buissons sauvages.
À Châtellerault, il y a foule, enfin, une petite dizaine de voyageurs.
Le TER, carrossé comme un mini-TGV, retrouve la modernité en gare
du Futuroscope, forcément.
Dans le TER entre Poitiers et Limoges, un des plus
beaux trajets de cette traversée lente de la France.
La gare de Limoges-
Bénédictins, fierté de la ville.
ELLE.FR