CATHERINE ROBIN
2 AOÛT 2019
64 ELLE.FR
ELLE MAG / REPORTAGE
LIMOGES / PÉRIGUEUX.
99 KM, 1 H 21.
Assis à côté des vélos suspendus, deux jeunes
hommes font connaissance. « Le train, c’est quand
même plus reposant que la voiture, c’est plus
sympa, on fait des rencontres, dit l’un. Le TGV c’est
trop cher. Avec le TER, on arrive quand on arrive,
voilà tout. Et, de toute façon, ici, des TGV, il n’y en a
pas. » À Thiviers, un nouveau problème de croise-
ment nous immobilise plusieurs minutes. Les passa -
gers patientent dans la fraîcheur de la clim. Sur les
quais, le thermomètre frôle les 40 °C. Quiconque
voudrait s’énerver n’y perdrait que des litres de
sueur sans gagner une seconde de trajet. Mieux
vaut opter pour la résignation positive.
PÉRIGUEUX / BORDEAUX.
125 KM, 1 H 13.
« Vous nous avez entendus, c’est pour ça que vous
venez nous parler? » Ces deux collègues limougeauds ont eu une
longue conversation sur leurs vies trop remplies, où les listes de choses
à faire s’accumulent. « L’accélération s’impose à nous, les habitudes de
vie ont changé et c’est difficile de faire autrement, explique l’une des
deux , la quarantaine. Notre épanouissement semble passer par le fait
d’être toujours occupé. Si vous décalez votre rythme, vous risquez
d’être marginalisé. » Son collègue abonde : « Moi, autant je suis prêt
à aller bosser en TER parce que notre employeur estime que ça lui
coûte moins cher, autant dans ma vie personnelle je veux que ça aille
vite. Avec un boulot, deux enfants, je ne peux pas perdre mon temps. »
Il regrette que le TGV ne soit pas arrivé à Limoges : « Résultat, ils veulent
expérimenter l’Hyperloop, un train superpuissant qui permettrait de
rallier Paris en vingt minutes, à 1 000 km/h », raille-t-il. En attendant la
ligne du futur, les Limougeauds se contentent du TER omnibus.
JOUR 3
BORDEAUX / SOULAC-SUR-MER.
100 KM, 1 H 43.
« Le Médoc, c’est le bout du monde, c’est fou de se dire que l’on met
quasi autant de temps à faire un Bordeaux- Paris (591 km) qu’un Bor-
deaux-Soulac (95 km), dit Lydie, baroudeuse ayant posé ses valises
à Soulac, où elle tient une boutique de vêtements. Je pourrais faire
le trajet en voiture, c’est à peu près le même temps, mais je préfère le
train. Pour la quiétude qu’il m’offre et, ce qui est loin d’être négli-
geable, parce que ça pollue moins. » Passé la banlieue bordelaise,
le train plonge au cœur des vignes et des châteaux, des marais et
des iris sauvages. Margaux, Pauillac... le nom des gares fait saliver.
Au bout, Soulac-sur-Mer, charmante station balnéaire, avec son
attraction involontaire, l’immeuble Le Signal, rappel des aberrations
architecturales des années 1960, menacé par l’érosion de la dune
et en passe d’être démoli.
SOULAC / TOULOUSE. 360 KM, 4 H 11
De Soulac à Toulouse, il faut repasser par Bordeaux. « Suite à un
problème de climatisation, des bouteilles d’eau vont être distribuées
en voiture 3 », crachent les haut-parleurs. Il est vrai que le soleil tape
dur derrière les vitres sales du train Corail. Bientôt ce sont les voitures
7 et 8 qui sont touchées. « Merci de faire de la place aux voyageurs
de ces compartiments dans les voitures où la clim
fonctionne à peu près pour éviter les malaises »,
annonce le contrôleur au micro. En ce mois de juil-
let, il fait 38 °C entre Bordeaux et Toulouse. En
voiture 6, où les grilles de la clim laissent passer un
mince filet d’air frais, les voyageurs, s’ils en avaient
la place, se mettraient bien tous en croix de Saint-
André, bras et jambes écartés. Certains pensent
même à se mettre en maillot avant d’avoir entrevu
la Méditerranée...
TOULOUSE / NARBONNE.
150 KM, 1 H 31.
Ah! Quelle joie pour une Francilienne de retrouver
la promiscuité d’un RER! Est-ce parce que le train a
pour terminus Avignon? Ou parce que nous
sommes à la veille des vacances? Toujours est-il
que les voyageurs ont tous entrepris de monter dans
cette rame. La grande proximité entre les gens aura
au moins le mérite de nous alerter : une grève se profile le lendemain,
qui risque sérieusement de mettre en péril la fin du « slow trip ».
NARBONNE / BANYULS-SUR-MER. 106 KM,
1 H 22.
À Narbonne, des punks à chiens en viennent aux mains, l’atmos-
phère est poisseuse. Le TGV n’arrive pas. Les voyageurs s’agacent.
Ceux du TER accusent eux aussi le coup. Le train à double rame part
en retard. Et sans contrôleur. À Perpignan, on manque de rester en
rade, nous n’étions pas informés que seul le wagon de tête poursui-
vait le chemin... Les bénéfices du voyager « slow » s’ éliment sérieuse -
ment. Heureusement, l’arrivée grandiose en baie de Banyuls, entre
mer et montagne, nous réconcilie avec les joies du rail.
JOUR 4
BANYULS...
On aurait voulu continuer jusqu’à Marseille, comme cela était prévu,
mais une grève régionale rend le trajet complexe, voire impossible.
Un seul train à l’aube nous permet de quitter Banyuls, avec trente
minutes de retard. Les quelques voyageurs qui se rendent à Paris
ratent leur correspondance à Perpignan, le train nous fermant les
portes au nez. Un TGV, vous comprenez, ça n’attend pas. n
* « Slow Train », de Juliette Labaronne (éd. Arthaud).
AVEC LE TER,
ON ARRIVE
QUAND ON
ARRIVE, VOILÀ
TOUT. ET, DE
TO U T E FAÇO N ,
ICI, DES TGV,
IL N’Y EN A PAS.
UN VOYAGEUR ENTRE
LIMOGES ET PÉRIGUEUX
L’arrivée grandiose
à Banyuls-sur-Mer, terminus
prématuré du périple.