L’homme en rose - MÉMOIRES D’UN COMBATTANT

(mbarhone) #1

20 MÉMOIRES D’UN COMBATTANT • OCTOBRE 2022


Rébellion


Un beau jour, à l’aube de mes seize ans, je me suis
brutalement révolté. J’ai soudain ressenti le besoin, à partir du
milieu de l’adolescence, qui coïncidait à peu près à ma scolarité
au secondaire, de délaisser l’ensemble de mon entourage, de me
départir de tous mes amis, que je trouvais trop puérils, de changer
toutes mes habitudes. J’ai été soudainement saisi du sentiment
d’être plus vieux que mon âge. Le sentiment d’être adulte, libre,
indépendant et authentique. La rencontre de nouvelles personnes,
politisées le plus souvent, m’a donné le goût, surtout à partir
de la dernière année de l’école secondaire, de participer à des
séminaires, des conférences, des colloques... J’ai même changé
ma façon de m’habiller pour faire plus sérieux. Si elles ont parfois
l’air de tomber comme un couperet, mes décisions ont toujours
été, et sont encore à ce jour, longuement et mûrement réfléchies.
L’adversité connue dans ma jeunesse et le devoir de responsabilité
au sein de ma famille m’avaient fait comprendre la nécessité de
sortir de ma coquille enfantine, pour m’intéresser au monde qui
m’entourait.
C’est donc bouillonnant et fougueux que j’ai mené mon
parcours scolaire au prestigieux Lycée Hassan II de Rabat.
Anciennement Lycée Lyautey, fondé à l’époque du protectorat
français, il servait initialement à former les élites dirigeantes de
l’administration coloniale, cadres, militaires, ingénieurs, etc. Cinq
années après l’indépendance en 1956, Hassan II, sacré roi du
Maroc, donnera son nom à cette institution, au tout début de
son règne. Le lycée n’a pas perdu sa cote auprès des habitants
de la capitale qui continuent d’y envoyer leurs fils, et il s’ouvre
progressivement au grand public. Accéder à de telles sphères
représentait pour ma famille et moi une grande source de fierté.


J’étais souvent proche de mes professeurs. Je m’entendais
très bien avec la majorité d’entre eux. Les enseignants des
sciences sociales m’appréciaient autant pour mes bons résultats


MÉMOIRES D’UN COMBATTANT • OCTOBRE 2022 21

académiques que pour mon appétence pour les conversations « des
grands », où ceux-ci livraient facilement leurs pensées devant moi.
Durant le collège et le lycée, j’ai été tout particulièrement marqué
par certains d’entre eux. En premier lieu, mon professeur d’arabe
au collège m’inculquait des notions solides, tout en me soutenant
dans mon expression créative. Féru de cette langue difficile, mais
exquise qu’est l’arabe, et qu’il m’a fait aimer, il valorisait beaucoup
mon travail, affichant mes textes sur le tableau. Il avait l’habitude
de dire qu’il enseignait à une classe et à Mohammed Barhone!

Les mathématiques étaient une tout autre histoire. Je n’excelle
pas naturellement dans cette matière rebutante et coriace, et je
ne l’aime pas non plus. Par chance, j’ai été soutenu énergiquement
par mon professeur, lequel, s’inquiétant sincèrement de ma
réussite, craignait que sa matière en particulier ne me fasse
trébucher dans l’accès aux études supérieures. Il m’offrait alors
des séances régulières de tutorat personnel en mathématiques,
bénévolement, avec dévouement, me permettant de remporter
le bras de fer avec cette discipline.

Il y avait aussi le professeur d’éducation physique, avec
lequel j’ai tissé des liens d’amitié. Vers la fin de notre scolarité
lycéenne, il nous a dit – et je m’en souviendrai toujours – :
« profitez du temps qui vous reste ici, parce qu’après, le
monde va complètement changer ». Lourdes de présages, ces
paroles m’avaient profondément marqué. Elles me rappelaient
l’importance de préparer activement et diligemment mon avenir
qui frappait à mes portes.

Enfin, il y avait le travail. Avec le temps, ma conscience sociale
s’est développée. J’avais décidé de subvenir financièrement à
mes propres besoins pour ne plus vivre aux crochets de ma mère.
Dès mes quinze ans, j’ai décidé de ne plus lui demander d’argent.
Pour en avoir, je faisais des petits boulots formels ou informels,
souvent dans des kiosques ou librairies.
Free download pdf