22 MÉMOIRES D’UN COMBATTANT • OCTOBRE 2022
Révolution
Mon arrivée à la maturité tant espérée se concrétisa peu de
temps après l’obtention de mon baccalauréat, marquant la fin de
mon aventure lycéenne.
Dès vingt ans, au seuil de l’université, j’ai fait le saut en
politique pour la première fois, en me présentant aux élections
municipales à Rabat. Je m’étais présenté pour être conseiller
municipal sous la bannière d’un parti social-démocrate.
Ma première campagne électorale, forte pourtant d’idées
et d’idéaux, partait perdante. En effet, ces élections furent
hélas entachées, comme beaucoup de choses au Maroc, par la
corruption, le chantage, des menaces même. Parmi les diverses
magouilles qui me déçoivent énormément figure l’achat des votes
auprès des électeurs. Le prix? Cent dirhams, l’équivalent de treize
dollars canadiens.
Ces élections se soldèrent pour moi par une troisième place
dans ma circonscription. C’était un résultat honorable, il me
semblait, car je faisais mieux que des gens bien plus expérimentés!
J’ai mené somme toute une belle campagne, en tout cas intègre et
passionnée, avec un groupe de jeunes étudiants. Cette expérience
pour moi a été le désenchantement de trop. La pauvreté locale,
pas forcément économique, mais notamment intellectuelle, les
faibles attentes de la population vis-à-vis de leurs dirigeants,
conjuguées au clientélisme à peine voilé de la politique marocaine,
me convainquirent, à mon corps défendant, de l’impossibilité de
réaliser mes ambitions au Maroc. Les problèmes systémiques
étaient tellement nombreux que j’ai fini par lâcher prise ; je n’y
trouvais plus ma place. Et la seule différence avec aujourd’hui,
c’est-à-dire vingt-cinq années plus tard, c’est le prix du vote qui
est passé à deux cents dirhams.
Cette expérience m’a tout de même beaucoup appris. Dans
le Maroc en pleine ébullition des années 1990, il s’agissait de mon
premier contact réel avec la collectivité et ses enjeux sociaux,
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politiques et économiques, et nous avons quand même su créer un
réel mouvement. C’était aussi le passage à la période de ma vie à
l’Université Mohammed V de Rabat, où j’ai entamé une formation
juridique. Je m’étais fait un nouveau cercle d’amis. Mon assiduité
bien établie de lecteur me servait beaucoup. J’écrivais, j’écrivais,
j’écrivais abondamment, sur tous les sujets de l’heure.
Je mûris l’idée de quitter le Maroc
J’ai beaucoup aimé mes études universitaires en droit,
dans lesquelles je me suis plongé avec fougue. Je me suis
spécialisé dans le droit international privé, et j’en ai profité pour
emmagasiner de nouvelles connaissances, de nouvelles idées, de
nouveaux points de vue. Je m’intéresse beaucoup aux affaires
internationales, dans le droit prolongement de mon intérêt pour
l’histoire-géographie au collège. Les sciences sociales, bien plus
qu’une simple technique, véhiculent un récit construit sur le
monde, et nous ouvrent à lui. Cet intérêt pour le monde ne m’a
jamais quitté.
Ce fut la première moitié de mes études. La seconde
moitié n’était pas aussi motivante. J’étais de plus en plus las
de la planète universitaire. Je venais moins souvent en cours,
je ne participais plus aux conférences facultatives, je ne lisais
plus les ouvrages des professeurs dont l’achat était pourtant
obligatoire. Je choisissais, en effet, de consacrer mon temps
à autre chose. Je faisais de la correspondance journalistique
sur l’actualité et les affaires sociales, préparant mes examens
seulement à la dernière heure. De plus en plus ennuyé et excédé
par mon environnement, je commençais, comme la majorité de
mes camarades, à former sérieusement un projet d’émigration.