L’homme en rose - MÉMOIRES D’UN COMBATTANT

(mbarhone) #1

24 MÉMOIRES D’UN COMBATTANT • OCTOBRE 2022


En fait, j’ai longtemps voulu quitter le Maroc. Dès l’école
secondaire, mon inéluctable départ ne faisait d’ailleurs plus
de doute chez qui que ce soit dans mon entourage. Plusieurs
raisons me poussaient vers le large. Comme tous les jeunes,
je ressentais le besoin d’aventure et j’avais envie de découvrir
d’autres horizons, en quête d’une vie meilleure. Mais il y avait
surtout la triste condition sociale d’un Maroc gangréné par
l’immobilisme qui m’amenait in fine au constat évident que mes
ambitions personnelles n’étaient pas à même d’être réalisées
parmi les miens. Le pays natal, aussi chéri soit-il, n’était pas
pour moi.


Comme tout Marocain de l’époque, je pensais naturellement
et instinctivement à la France, du fait de cette mise en relation
quelque peu forcée des deux pays. Ce pays accueille aujourd’hui
une diaspora forte de presque deux millions de Marocains
de première, de deuxième et même de troisième génération.
Néanmoins, considérant l’évidence trop clichée de la France,
mon dévolu s’est rapidement jeté sur l’Espagne, pour laquelle
j’avais formé un premier projet d’émigration visant à poursuivre
des études de science politique à Séville. Ce projet sera avorté à
la dernière minute, à la faveur d’une destination autrement plus
exotique, l’Amérique.


Par le biais du frère d’un ami lui-même émigré outre-
Atlantique, je commençais en effet à rêver aux États-Unis
d’Amérique, qui semblaient être pour moi cette terre lointaine
de tous les possibles. Mais nous étions en 2001. Les attentats
terroristes du 11 septembre, en plus d’avoir traumatisé New
York et le monde, ont profondément transformé la société
américaine. Mon ami en question, à l’occasion d’un café, me
déconseilla alors les États-Unis. Il me parlait plutôt du Canada.
En particulier, il avait attiré mon attention sur une contrée dont
j’ignorais tout, le Québec, province francophone, dit-on, qui
accueille des étudiants et des immigrants qualifiés. Ne faisant
ni une ni deux, j’avais entamé le processus d’immigration
débouchant au statut de résident permanent en seulement neuf


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mois! Efficacité foudroyante, qui incarne pour moi la gracieuse
ouverture de ces quelques arpents de neige et qui confirme à
mes yeux ce choix quelque peu fortuit.

Nous sommes à quelques jours de l’Aïd-el-Kébir (la fête
du mouton), fête sacrée pour les musulmans. Sortant sur le
boulevard Mohammed V, seul, à seulement deux jours de la fête,
j’achète un billet d’avion aller simple pour Montréal, et ce, pour
le lendemain. Ma chère mère, je vole.
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