L’homme en rose - MÉMOIRES D’UN COMBATTANT

(mbarhone) #1

28 MÉMOIRES D’UN COMBATTANT • OCTOBRE 2022


autre langue aussi importante à apprendre à Montréal pour qui
cherche l’ascension sociale, l’anglais. Je me lie aussi en particulier
avec mes nouveaux collègues au travail, avec qui je découvre les
régions du Québec, que je parcours de long en large.


À l’été 2002, la saison des festivals bat son plein dans
ma nouvelle ville, et je découvre le Grand Prix du Canada de
la Formule 1, reconnu sur toutes les lèvres et dans toutes les
rues de la métropole. Les touristes abondent dans le centre-
ville joyeux, je travaille dans un restaurant renommé au plein
centre-ville.


Je rejoins ensuite, après avoir fait mon temps dans la
restauration, un magasin de meubles à Côte-des-Neiges, tenu
par des Italiens et comptant aussi des Marocains. Je me souviens
surtout de Michel, dit « Mike », Marocain de confession juive,
résident de longue date de Montréal. Alors que je l’abordais
en français, il me répondait : « non, non, parle-moi en dialecte
marocain (Darija) s’il te plaît ». Visiblement, le bled lui manque, et
c’est avec le plaisir d’avoir trouvé quelqu’un qui lui ressemble que
nous devenons amis pour évoquer la patrie laissée derrière nous
ou aborder les dernières nouvelles que j’apporte pour lui. Mike
me sera d’un appui inestimable dans mon intégration. Apprenant
avec stupéfaction le loyer presque criminel que je paye pour
mon appartement au centre-ville, il m’enjoint immédiatement
de déménager dans le très multiculturel quartier de Côte-des-
Neiges, plus proche de notre milieu de travail à nous deux, où il
connaît un appartement confortable avec pour loyer mensuel ce
que je payais jusqu’alors hebdomadairement. Il se porte même
garant de ma candidature audit logement, et, dans l’entrefaite
de mon déménagement, va jusqu’à m’ouvrir généreusement les
portes de son propre chez lui pour quelques jours. Ces gestes-là,
je ne les oublierai pas.


MÉMOIRES D’UN COMBATTANT • OCTOBRE 2022 29

Nouveau départ


C’est dans mon nouvel appartement à Côte-des-Neiges
que mon plan de vie commence à se préciser. J’habite à côté
de l’Université de Montréal, et je parviens rapidement à la
conclusion – judicieuse, je dois dire – que la prochaine étape de
mon intégration passe par la formation générale pour achever et
enrichir mes études. Je commence aussi à mûrir l’idée de travailler
dans un domaine connexe à ma formation universitaire.
À mon travail au restaurant, j’ai été appelé en renfort un
samedi, jour où je suis censé être en congé ; j’y arrive de très
mauvaise humeur. Bouillonnant de colère, je saisis, pour pousser
de la viande dans un broyeur industriel, un énorme couteau à pain
par la lame. Inutile de préciser que le sang a giclé partout, mais
vraiment partout. J’ai encore à ce jour la cicatrice de ce violent
et stupide accident. À l’Hôpital général de Montréal, où je me
rends en urgence, je découvre la lourdeur du système de santé.
J’ai poireauté plusieurs heures et je n’arrivais pas à me résigner
au motif que ma main ne constituait pas, pour une raison qui
m’échappe, une blessure suffisamment grave pour être traitée
en priorité, et ce, malgré qu’elle soit très ensanglantée et tenant
à peine en un morceau. Il a fallu attendre qu’elle se refroidisse
et s’engourdisse pour qu’on m’admette. Quelques instants plus
tard, et une fois ma main soignée, j’ai découvert l’admirable
protection sociale qui prévalait au Québec, lorsqu’un médecin,
qui m’avait très bien recousu, il faut le dire, a insisté sans retenue
pour que je prenne congé de mon travail pour au moins deux
semaines. Il m’a même conseillé, au cas où mon patron refuserait
de m’accorder le congé, que je saisisse la Commission de la santé
et de la sécurité au travail (CSST), concept farfelu pour moi qui
croyais qu’un accident signifiait la fin de mon travail. J’ai profité de
ce moment, qui s’est avéré charnière, pour pousser ma réflexion
sur ma réorientation professionnelle. Cela s’est confirmé dans
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