68 MÉMOIRES D’UN COMBATTANT • OCTOBRE 2022
de régimes politiques et surtout de cultures. En fait, et plus
rigoureusement, le Maghreb, c’est le premier Occident. Au sens
littéral, Maghreb est le mot arabe qu’on a plus tard traduit par
« Occident ». C’est là où le soleil se couche par opposition au
Machrek qui est « là où le soleil se lève » qu’on nomme « Orient ».
Bref, c’est la culture qui lie tous ces pays aux structures politiques
et sociales parfois diamétralement opposées.
Tous n’ont cependant pas les mêmes composantes culturelles.
Les Berbères, qui composent une partie importante de la population
de tous ces pays, ne sont pas les mêmes d’une région à l’autre, ce sont
des peuples distincts, se considérant tantôt comme frères et tantôt
comme concurrents. Les structures économiques et sociales de
tous ces pays sont également diamétralement opposées. L’Algérie
par exemple bénéficie d’une rente pétrolière exceptionnelle depuis
des décennies; pourtant, les événements des dernières années
montrent combien le peuple algérien continue de manifester sa
colère face aux difficultés sociales. Le Maroc, qui dépend à la fois
du tourisme et des investissements étrangers pour assurer ses
besoins en devises étrangères, a préconisé l’usage des mécanismes
de marchés dans toutes les sphères de l’économie, entraînant une
croissance soutenue, mais également des inégalités criantes. La
Tunisie quant à elle n’a de toute évidence pas les moyens de ses
ambitions démocratiques en raison de sa situation géographique,
de son climat et de ses structures économiques, mais également
de sa démographie ; ce qui l’a entraînée dans une crise permanente
face à laquelle elle a d’ailleurs été soutenue activement par ses
deux partenaires maghrébins.
Les immigrants issus de ces pays et qui décident de s’établir
au Québec sont également issus d’une diversité impressionnante
de parcours de vie à l’intérieur même de chaque pays. Certains
sont des professionnels qualifiés, d’autres sont des chercheurs de
calibre mondial, d’autres encore sont des ouvriers. Certains ont
obtenu leur résidence permanente en raison de leurs compétences
ou de leur qualification, alors que d’autres l’ont obtenue pour des
motifs humanitaires aussi diversifiés les uns que les autres.
MÉMOIRES D’UN COMBATTANT • OCTOBRE 2022 69De plus, l’action de ces pays au Canada et au Québec est
souvent très différente. Tous ont une représentation diplomatique
extrêmement active pour faire avancer leurs intérêts, mais
ceux-ci sont souvent contradictoires. Chacun jouera du coude
pour favoriser l’immigration d’un maximum de ses propres
ressortissants au détriment de ceux des autres pays et en fonction
des opportunités qui leur sont offertes (secteurs en difficulté,
contexte politique/économique, local ou dans le pays d’origine,
copinage ou clientélisme, etc.). Malgré tout, il n’existe pas au
Québec de communautés issues de pays différents et disposant
d’un sentiment d’appartenance collective aussi fort que celui des
Maghrébins. La franche camaraderie qui règne dans les mosquées
les soirs de ramadan, alors que des centaines de bénévoles
s’attellent tout un mois durant à préparer de la nourriture à
destination des étudiants isolés, quel que soit leur pays d’origine,
en témoigne. Un Algérien traditionnellement dévoué à un régime
composé principalement de chorba et de börek durant le mois
de ramadan ne rechignera jamais à déguster une bonne hrira
marocaine maison ou à se sucrer le bec en dévorant des spécialités
tunisiennes. Et inversement.Ce qu’il manque à cette communauté, ce n’est ni les moyens,
ni les ambitions, ni l’expertise, ni la volonté ou la masse critique.
Ce qu’il manque à cette communauté, c’est une vision commune
et des moyens communs. La masse de l’immigration maghrébine
en est à sa seconde génération et entame dans certains cas la
troisième alors que de nouveaux arrivants continuent de s’y
ajouter tous les jours. C’est pour ça que je fonde tant d’espoir
dans la jeunesse. Parce qu’elle ne sera pas éternellement jeune.
Ce n’est pas du pays d’origine que viendra le modèle permettant à
cette communauté de déployer ses ailes, mais bien du Québec lui-
même. De ce nouveau Québec que je me suis attelé depuis mon
arrivée ici à contribuer à rendre possible. C’est cette jeunesse qui
trouvera les solutions aux problèmes que la mienne ne peut que
se contenter d’énoncer. On ne bâtit pas Rome en un jour, et bien
le Québec non plus.