L’homme en rose - MÉMOIRES D’UN COMBATTANT

(mbarhone) #1

74 MÉMOIRES D’UN COMBATTANT • OCTOBRE 2022


Le diagnostic


Puis, un jour, j’ai eu une douleur. Pas une douleur comme
les autres. Une douleur à l’estomac d’une telle violence, d’une
telle intensité, que je peux à peine bouger tant j’étais tordu.
Parvenant tant bien que mal à trouver la force de me lever, je me
rends difficilement à une clinique sans rendez-vous. Une fois arrivé,
on me demande si une telle douleur s’était déjà manifestée chez
moi. À ce moment-là, je passe à deux doigts d’embarquer dans le
même déni habituel, à raconter ma salade au médecin concernant
la fatigue, le stress, la malbouffe et tout le tralala. Heureusement,
ce médecin a la présence d’esprit de me prescrire une échographie.
Le lendemain, je la passe. Je suis assis, je regarde l’écran à côté de
moi et, soudainement, je vois deux grosses masses noires en plein
dans mon ventre. Je ne suis pas médecin, mais je sais que quelque
chose ne tourne pas rond. Le technicien me dit de me retourner
et essaye de me rassurer. Il préfère s’en remettre au jugement
du médecin qui devra élucider tout ça pour moi. Je rentre donc
à la maison, non rassuré! Très tôt le lendemain matin, le médecin
m’appelle et me dit sur un ton alarmant : « je suis très inquiète, je
vous confie au Dr Zogopoulos à l’hôpital Victoria » dont j’ai déjà
entendu parler. Il s’agit d’une sommité mondiale en oncologie qui
exerce à l’hôpital Victoria, l’établissement le plus spécialisé dans le
domaine au Canada. Mais je ne vais pas tout de suite à l’hôpital,
non. Je subis d’abord à la maison une autre crise de douleur, pire
encore que la première. J’essaye de prendre des antidouleurs, mais
sans effet. Le lendemain, haletant, j’appelle mon ex-femme et je lui
dis finalement : « je vais aux urgences ». Lâchant tout, elle me rejoint
tout de suite à l’hôpital Victoria. On m’administre de la morphine
en quantité véritablement industrielle. C’est seulement à partir de
la cinquième dose que je commence à me sentir légèrement mieux.
Je quitte l’hôpital au troisième jour. Mon rendez-vous est arrivé
avec le Dr Zogopoulos qui m’accueille chaleureusement dans son
bureau. D’emblée, je lui dis : « j’ai lu tellement sur votre expertise
et vos avancées médicales, mais jamais je n’aurais cru être un jour


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l’un de vos patients ». Il me traite avec la plus grande gentillesse et
la plus noble délicatesse, modérant l’annonce d’informations. Mais
rapidement, je lui dis que je n’aime pas la langue de bois, que je
veux savoir la vérité, toute moche soit-elle, tout de suite. Voici ses
mots, très simples, mais gravés dans ma mémoire : « Est-ce que je
suis inquiet? Oui, très inquiet. Est-ce que je suis sûr que c’est un
cancer du pancréas? Oui. » Je me raidis. Puis, il ajoute : « Avant de
faire quoi que ce soit, je veux que vous passiez deux radiographies.
En urgence, s’il vous plaît. »

On peut dire ce qu’on veut du système de santé au Québec,
mais quand l’heure est grave, on ne peut pas dire qu’ils ne savent
pas se mobiliser. Dr Zogopoulos m’avait promis de me rappeler
une fois les résultats obtenus. De fait, je reçois son appel, quelques
jours après, en soirée. Il m’informe calmement de trois choses :
que je commence la chimiothérapie le lendemain matin ; que le
cancer est un cancer de stade trois, c’est-à-dire avancé ; et que la
situation n’est pas urgente, mais très urgente. À l’autre bout du
fil, je ne sais pas comment réagir. D’un côté, je ressens un certain
soulagement de savoir ce qui m’arrive ; mais de l’autre, toutes
sortes de questions angoissantes se bousculent dans ma tête, car
je suis certain que je ne vais pas survivre longtemps à cette maladie.
D’abord, mes enfants! Comment partir maintenant, si tôt, en les
laissant à un si jeune âge? Ma mère, qui est encore au Maroc, et
très âgée, comment lui annoncer une nouvelle pareille? Mes rêves,
mes ambitions, tout ce que je veux encore accomplir dans la vie,
comment y renoncer soudainement? Mais rapidement, je reviens
à la réalité, me recentrant sur ma santé et sur la voie à suivre
désormais. Je demande : « Docteur, dois-je changer mes plans pour
l’avenir? » Il dit oui. « Dois-je prendre des précautions immédiates
par rapport à mes enfants? » Il dit oui. Il est catégorique. Il me
suggère non seulement de cesser tout nouvel engagement, mais
aussi de réduire sensiblement mes engagements existants. Ma
priorité sera désormais mes traitements.
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