76 MÉMOIRES D’UN COMBATTANT • OCTOBRE 2022
Mon combat pour la vie
Ce cancer me fait découvrir un monde nouveau, insoupçonné.
Celui des séances de chimiothérapie en série, de l’épuisement
physique et de l’affaiblissement inouï qui en découlent. Les
mauvaises nouvelles arrivent aussi, comme celle de l’impossibilité
de m’opérer! On me dit très clairement qu’on ne peut me garantir
dans le meilleur des cas plus d’un an de survie, et que de toute
façon tout dépend de l’effet de la chimiothérapie sur mon corps,
car ça ne marche pas pour tout le monde. Malheureuse loterie
de la vie! Ce qui me frappe tout au long de ma prise en charge,
c’est le caractère aléatoire, indiscriminé, presque égalitaire de la
maladie. Au département d’oncologie, il n’y a ni Noir, ni Blanc, ni
Franco, ni Anglo, ni Catho, ni musulman, ni riche, ni pauvre. Toutes
ces considérations du quotidien, presque puériles tant elles sont
banales, nous semblent loin, très loin, à nous qui avons déjà un
pied hors de la société. Il est terriblement paradoxal qu’après tant
d’années d’implication sociale, du vivre-ensemble tant recherché,
je le trouve enfin au seuil de la mort. Je me dis que les gens
verraient bien ce qu’il y a de vraiment important dans la vie si
seulement ils mettaient les pieds dans un tel endroit, ne serait-ce
qu’une seule fois.
Après six séances de chimiothérapie, je sens mon corps me
lâcher. Le compte à rebours est lancé. Je suis maintenant dans une
course contre la montre pour sécuriser l’avenir de mes enfants,
passer du temps de qualité avec eux, et prendre soin de moi. Mais
d’abord, il me reste une dernière chose à faire, rentrer à Rabat,
visiter ma mère.
MÉMOIRES D’UN COMBATTANT • OCTOBRE 2022 77
Mes filles apprennent la triste nouvelle
La nouvelle est très dure pour Caterina, mon ex-femme.
Bien que nous soyons divorcés, elle me soutient dans cette
épreuve, et je lui dis naturellement tout. Concernant nos enfants,
c’est plus délicat, car nous ne voulons pas les affoler inutilement.
Fidèles à nos valeurs, nous souhaitons toutefois les traiter avec
la maturité qui leur revient et leur annoncer la nouvelle : papa
a le cancer, mais il se bat, et on va se battre tous ensemble. Un
jour, ma grande de douze ans, qui a toujours eu l’intelligence
d’aller au fond des choses, m’appelle au téléphone, et me dit :
« Papa, tu me promets que tu me dis toute la vérité, d’accord? ».
Elle dit qu’elle a effectué des recherches sur Internet sur le
cancer du pancréas, qu’elle comprend qu’il y a quatre stades, et
qu’elle veut savoir précisément où j’en suis. Je comprends à ce
moment qu’elle a pris de la maturité et que je n’ai plus affaire à
une enfant. Elle vient de me prouver qu’elle ira loin dans la vie.
Mais, je le reconnais candidement, à ce moment-là, je lui mens.
Je lui dis que je suis au premier stade de la maladie, ne pouvant
me résoudre à faire voler en éclat l’espoir de guérison qu’elle
portait encore en elle. Reste maintenant l’annonce à ma mère.