L’homme en rose - MÉMOIRES D’UN COMBATTANT

(mbarhone) #1

10 MÉMOIRES D’UN COMBATTANT • OCTOBRE 2022


diversité, cette coexistence harmonieuse, qui se manifeste par
une réelle joie de vivre en communauté et par une forte solidarité
par-delà les différences, pour moi, c’est ça, Rabat.


Cité millénaire empreinte d’histoire à l’anthropologie
fascinante, certes, la ville où j’ai vu le jour représente d’abord
pour moi un vaste terrain de jeu. Ses quartiers historiques, ses
rues et ses ruelles, que je connais par cœur, ont été le théâtre
d’innombrables parties de plaisir avec mes amis. Nous nous
mettions au défi les uns les autres de nous retrouver sans nous
tromper dans ce joyeux labyrinthe.


Il y avait aussi la plage municipale, que l’on appelait Bergama
(d’où vient ce nom, je l’ignore), que nous apercevions aisément
depuis la maison et que nous rejoignions en t-shirts et en
claquettes. Cette plage, entre la Kasbah des Oudayas et la Médina
que nous avions presque privatisée par nos visites décontractées
régulières, était véritablement à nous, les jeunes du quartier, et à
personne d’autre, et nous la gardions jalousement des étrangers.
Nous n’avions pas besoin, nous, des stations balnéaires cinq-
étoiles vendues et revendues à prix d’or aux touristes, car nous
avions tout ce qu’il nous fallait dans la vie. C’était modeste, mais
ô combien beau!


Mon enfance, on l’aura deviné, ne connaît pas les appareils
électroniques en tout genre qui pullulent aujourd’hui. Les jeux
manuels et simples incarnent mon quotidien de l’époque. Avec
mon frère et mes amis, on jouait aux billes, aux roues, aux toupies
et, bien sûr, au football (soccer). Pour ma mère, qui préférait nous
voir étudier, il ne fallait pas « abuser » en jouant constamment
dans la rue. Un beau jour, décidant que nous avions outrepassé ce
commandement maternel des plus fondamentaux, elle jeta tous
nos jouets improvisés – de l’or à nos yeux – à la poubelle. Ce jour-
là, nous avons pleuré comme si nous avions perdu un être cher.


MÉMOIRES D’UN COMBATTANT • OCTOBRE 2022 11

Des études, j’en ai fait aussi. Je me souviens de mes révisions
pour le baccalauréat que je préparais au Lycée Hassan II. Tous les
jours me séparant de ces fatidiques examens finaux, je me rendais
à l’esplanade de la tour Hassan pour m’installer contre une des
nombreuses colonnes inachevées qui organisaient l’espace en
un triomphe de géométrie propice à la concentration. C’était
ma colonne, tout près du Mausolée Mohammed V. J’y ai passé
tant d’heures, voûté sur mes livres et cahiers. J’étudiais tellement
souvent à cet endroit précis que s’il advenait qu’une autre
personne y soit assise au moment de mon arrivée, j’attendais
là, patiemment, jusqu’à ce qu’elle parte. Ce temps passé sur
l’esplanade, cérébral et méditatif, en fit un endroit véritablement
spirituel pour moi. Il s’agit d’un point d’ancrage fort au Maroc et
d’un lieu de pèlerinage séculaire que je me faisais un devoir de
visiter chaque fois que j’avais l’occasion de le faire.

« Ah! Rabat, mon amour... », comme le disait si souvent ma
mère en franchissant les entrées de Rabat au retour du moindre
séjour, aussi court fût-il, cette magnifique ville, on l’aura bien
compris, m’entoura de joies, de merveilles et d’amitiés tout au
long des années les plus formatrices de ma vie.
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