MondeLe - 2019-07-30

(Sean Pound) #1

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INTERNATIONAL

MARDI 30 JUILLET 2019

Manifestations à Hongkong,
le 28 juillet. ANTHONY WALLACE/AFP

hongkong - envoyé spécial

C’


est un sym-
bole de plus
de la fragilité
de la situa-
tion de Pékin
à Hongkong :
dimanche, en prévision d’une
nouvelle journée de manifesta-
tions, le Bureau de liaison de la
Chine à Hongkong, qui repré-
sente le pouvoir central, a protégé
l’emblème chinois d’une plaque
de Plexiglas. Pas question de lais-
ser le blason rouge et or à la merci
de l’encre et des œufs jetés par les
manifestants : quand cela s’est
produit le 21 juillet, Pékin avait
dénoncé une attaque qui « bles-
sait l’ensemble du peuple chinois ».
Voilà les sentiments du peuple
chinois protégés par un morceau
de plastique.
Dimanche 28 juillet, l’institution
était barricadée et défendue par
des forces de polices en nombre.
Les manifestants, qui se targuent
d’être fluides « comme de l’eau »,
ont rapidement abandonné cette
cible, pour se concentrer sur le
blocage du centre-ville, à l’ouest
du quartier d’affaires de « Cen-
tral ». Nouvelles barricades, nou-
velles échauffourées, il aura fallu
des centaines de tirs de lacrymo-
gènes et de charges pour faire par-
tir les manifestants les plus déter-
minés un peu avant minuit, alors
que passants et touristes se proté-
geaient la bouche pour traverser
les rues adjacentes envahies de
gaz. Loin de faiblir, le mouvement
de protestation contre la loi d’ex-
tradition vers la Chine semble se
radicaliser. Lundi matin, la police
de Hongkong a annoncé l’arresta-
tion de 49 « manifestants radi-
caux » dimanche, notant que le
mouvement devenait « de plus en
plus violent ».

APPEL « AU RESPECT DES LOIS »
A Pékin, l’agence ministérielle
en charge des affaires de Hon-
gkong et Macao s’est exprimée
pour la première fois, lundi
après midi, lors d’une confé-
rence de presse. Son porte-pa-
role, Yang Guang, a tenu un lan-
gage plutôt modéré, tout en re-
nouvelant le « soutien très fort »
du gouvernement central à la

chef de l’exécutif Carrie Lam et
aux forces de police. « La violence
reste de la violence et ce qui est il-
légal est illégal », a-t-il déclaré,
appelant « au respect des lois ».
L’éditorial du quotidien chinois
anglophone China Daily de lundi
29 juillet est plus virulent : « Ce
qui se passe à Hongkong (...) est de
la même teinte que les révolutions
de couleur déclenchées au Moyen-
Orient et en Afrique du Nord »,
lit-on. Le quotidien dénonce « la
collusion d’éléments antigouver-
nementaux locaux avec des forces
extérieures pour renverser les gou-
vernements, en utilisant des tech-
nologies de communication mo-

dernes pour répandre des ru-
meurs, la méfiance et de la peur ».
La plupart des activités du
week-end du 27 et du 28 juillet
n’avaient pas été autorisées par
la police. Vendredi, des manifes-
tants ont envahi l’aéroport de
Hongkong et accueilli les voya-
geurs, dont une bonne partie
sont chinois, par des slogans et
des banderoles en faveur de la
démocratie.
Samedi 27, des dizaines de mil-
liers de manifestants s’étaient re-
trouvés à Yuen Long, dans les
Nouveaux Territoires, non loin de
la frontière avec la Chine, pour
dénoncer l’attaque de manifes-

tants par des membres des tria-
des, qui avait fait 45 blessés le
21 juillet, sans que la police n’in-
tervienne. La marche s’est dérou-
lée dans le calme pour l’essentiel,
jusqu’à ce que les manifestants
s’opposent à la police pendant
plusieurs heures en fin de cor-
tège. Dimanche, seul un rassem-
blement dans un parc du centre-
ville avait été autorisé, mais les
jeunes manifestants n’étaient pas
d’humeur à rester assis.
Par milliers, ils ont pris la rue,
bloquant une bonne partie du
centre, et changeant régulière-
ment d’itinéraire. Tous étaient
équipés en conséquence : mas-

ques pour protéger leurs pou-
mons et leur identité, casques, lu-
nettes de protection, film plasti-
que sur les bras ou les jambes
pour éviter l’irritation des gaz la-
crymogènes... Certains ont des
parapluies pour se défendre des
sprays au poivre ou pour attaquer
les policiers.
Si la plupart des jeunes ne vont
pas au contact, ils étaient là pour
aider ceux qui y allaient. La vio-
lence est désormais acceptée
comme un mal nécessaire. On en
oublierait presque que deux mois
plus tôt, l’usage des gaz lacrymo-
gène choquait encore, tandis que
la police du territoire n’avait en-
core jamais fait usage de balles en
caoutchouc.

INGÉRENCE ÉTRANGÈRE
Mike, étudiant de 23 ans, vise avec
un puissant laser vert des clients
qui tentent de filmer le mouve-
ment depuis un restaurant qui
surplombe l’avenue des Vœux.
« Nous ne savons pas quel est leur
but, nous avons peur d’être identi-
fiés », justifie-t-il. Vêtu de noir, il
porte un casque, des lunettes de
protection et des gants renforcés
pour aller au combat. Il soulève
son masque à gaz pour nous ré-
pondre. « La violence est devenue
inévitable. Ce sont plutôt les mani-
festants pacifiques qui ne pren-
nent pas leurs responsabilités.
Nous poursuivrons le mouvement
tant que le gouvernement ne ré-
pondra pas. » Les conséquences
ne lui font pas peur. « Le scénario
du pire, ce serait une intervention
de l’armée chinoise. Nous y avons
pensé. Ce serait la fin d’“Un pays,
deux systèmes”, mais au moins,
cette fois, tous les Hongkongais
descendraient dans la rue »,
veut-il croire.
Dans le parc de Chater Garden,
un rassemblement autorisé re-
groupe les manifestants modé-
rés. Même ici, rares sont ceux qui

désapprouvent l’usage de la vio-
lence. Une femme âgée d’une
soixantaine d’années, cheveux
gris courts et œil vif, est venue
avec sa fille, Iris : « J’ai quitté la
Chine avec mes parents en 1989,
parce que je n’aimais pas le Parti
communiste. Mais aujourd’hui,
Hongkong devient de plus en plus
similaire à la Chine. Les manifesta-
tions pacifiques ne fonctionnent
plus. Je suis d’accord avec ce que
font les jeunes. »
Dans le camp adverse, le député
pro-gouvernement Michael Tien
croit à l’ingérence de puissances
étrangères. « Ce n’est pas un ha-
sard si ce mouvement arrive alors
que les relations entre la Chine et
les Etats-Unis sont au plus mal. Je
pense qu’une petite partie des ma-
nifestants les plus radicaux sont
poussés à créer le chaos. »
Pour autant, M. Tien ne se prive
pas de critiquer la gestion de la
crise par les autorités hongkon-
gaises : « Les manifestants ont
deux demandes fortes. D’abord, le
retrait de la loi, Carrie Lam doit ar-
rêter de jouer avec les mots en di-
sant que la loi est “morte”, il est
temps de la retirer officielle-
ment. Ensuite, ils demandent une
enquête indépendante sur les vio-
lences policières, dit-il. Le gouver-
nement refuse parce que les asso-
ciations de police y sont défavora-
bles, mais c’est la seule solution
pour apaiser la situation. »p
simon leplâtre

Hongkong dans la spirale de la violence


Ce week-end, deux manifestations non autorisées ont été le théâtre d’affrontements intenses avec la police


L A C R I S E H O N G K O N G A I S E


« LE SCÉNARIO DU PIRE,


CE SERAIT L’INTERVENTION


DE L’ARMÉE CHINOISE.


CE SERAIT LA FIN D’“UN


PAYS, DEUX SYSTÈMES” »
MIKE
étudiant de 23 ans

eddie chu, député de l’opposition prodé-
mocratie du Conseil législatif de Hon-
gkong, le LegCo, soutien des manifesta-
tions contre une loi d’extradition vers la
Chine, a été menacé de mort par le député
progouvernement Junius Ho, le 23 juillet.

Face à ces menaces, comment vous
sentez-vous?
Ces derniers jours, j’ai appris qu’un
groupe de gangsters du district de Yuen
Long recherchait un patient atteint d’un
cancer en phase terminale pour un job
d’assassin. Je dois faire attention. Je ne dors
plus chez moi ces jours-ci. La plupart des
accusations dont je suis victime sont fabri-
quées, comme celle selon laquelle j’aurais
demandé à mes soutiens de vandaliser la
tombe des parents de Junius Ho, c’est tota-
lement sans fondement.
Junius Ho, icône de l’establishment pro-
Pékin, est très bon pour diffuser des « fake
news » auprès de ses partisans. Le soir du
21 juillet, l’information a circulé disant que
j’arrivais à Yuen Long avec des centaines de
manifestants. Ils excellent à créer une im-
pression d’urgence, avec une idéologie radi-
cale nationaliste, pour justifier le recours à
la violence. Cela ressemble à la révolte des
Boxers [1899-1901] à la fin de la dynastie

Qing en Chine, quand des sectes furent mo-
bilisées pour s’attaquer aux étrangers. Ce
sont les mêmes tactiques que le Parti com-
muniste utilise pour établir un front radical
et réprimer le mouvement démocratique.
Pour moi, l’attaque du 21 juillet est la
deuxième étape de la stratégie de Pékin con-
tre notre mouvement. La première étape,
c’était la police, la deuxième, l’utilisation de
gangsters, sans réaction de la police. La troi-
sième étape, ce sera un couvre-feu par le
gouvernement de Hongkong. La dernière
étape, ce sera le déploiement de l’Armée po-
pulaire de libération [l’armée chinoise].

Comment voyez-vous la suite
du mouvement?
Nous ne voulons pas perdre une bataille
de plus sur le terrain des droits humains.
Les gens sont en train de transformer ces
manifestations en un mouvement en fa-
veur de la démocratie. Nous sommes
dans une situation très délicate. Je ne suis
pas sûr que Pékin sache quoi faire : ils ne
peuvent pas déployer l’armée ni accorder
une vraie démocratie à Hongkong. C’est
une situation de vacance du pouvoir.
Comment nos institutions, y compris le
Conseil législatif, peuvent-elles retrouver
leur légitimité? Moi-même je ne sais pas

si j’irai siéger à la rentrée en septembre ou
si je dois démissionner.

Jusqu’où la confrontation
peut-elle aller?
Beaucoup de manifestants voudraient
que la crise s’aggrave, en espérant que l’Eu-
rope et les Etats-Unis s’impliquent si la
Chine envoyait l’armée. Je préférerais
compter sur les prochaines élections pour
assurer un changement. Dans la rue, on ne
fait bouger que les gens qui sont dans un
certain camp. Mais, lors d’élections, c’est la
société tout entière qui prendre une déci-
sion. Il y a des élections de district en no-
vembre 2019, ce sera un excellent test.
Si, lors des élections du LegCo [en sep-
tembre 2020], les démocrates remportent
la majorité des 35 sièges [sur 70] au suffrage
direct, le Parti communiste chinois trou-
vera un moyen d’intervenir. Ce serait une
crise plus grande encore, mais nous se-
rions pleinement légitimes. Nous sommes
une petite ville adossée à un grand pays.
Nous ne pouvons pas tout accomplir nous-
mêmes. N’importe quel mouvement à
Hongkong doit devenir international pour
obtenir la moindre concession de Pékin.p
propos recueillis par si. l.
(hongkong, envoyé spécial)

« Je ne suis pas sûr que Pékin sache quoi faire »

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