MondeLe - 2019-07-30

(Sean Pound) #1

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FRANCE

MARDI 30 JUILLET 2019

Comment Macron prépare


une rentrée à hauts risques


Dans un contexte inflammable, le président, qui veut


désamorcer les conflits, entend jouer la carte de l’Etat protecteur


G O U V E R N E M E N T


après la crise des « gilets jaunes », l’exécu-
tif a décidé de lever le pied sur les économies
initialement envisagées pour la seconde moi-
tié du quinquennat. Les niches fiscales – ga-
zole non routier et « déduction forfaitaire spé-
cifique », qui permet aux entreprises de cer-
tains secteurs de payer moins de charges pa-
tronales – seront rabotées de 615 millions
d’euros seulement en 2020, contre 1 à 1,5 mil-
liard d’euros attendus.
Un temps avancée, l’idée de réaliser dès 2020
des économies sur le système de retraites,
avant la mise en place du régime universel pro-
mis par le chef de l’Etat, a été écartée. Enfin, l’ob-
jectif de 50 000 suppressions de postes de fonc-
tionnaires d’Etat sur le quinquennat a été aban-
donné, pour être ramené à 15 000.
Problème : après les mesures pour le pouvoir
d’achat de décembre, les baisses d’impôts an-
noncées en avril, et au regard des nouvelles

priorités affichées pour certains ministères
(armées, intérieur, éducation...), l’objectif d’un
déficit public à 2,1 % du produit intérieur brut,
fixé fin juin par Bercy, n’est pas encore à portée
de main.
Conséquence : la sphère sociale est de nou-
veau dans le viseur. Parmi les pistes évoquées,
un rabot du congé parental, des indemnités
journalières d’arrêt maladie, voire une nouvelle
baisse des allocations familiales pour les plus
aisés – même si ce dernier dossier est de loin le
plus explosif. Les allégements de cotisations
patronales sur les hauts salaires, hérités de l’ère
Hollande, sont aussi dans le viseur.
Dans ce contexte, les taux d’intérêt négatifs et
la croissance économique, qui pourrait rebon-
dir en fin d’année, constitueront des bouffées
d’oxygène bienvenues pour boucler la difficile
équation budgétaire de la rentrée.p
audrey tonnelier

Budget L’objectif d’un déficit à 2,1 % encore loin


en cours d’élaboration depuis l’automne
2017, la réforme des retraites entre dans une
phase délicate. Jean-Paul Delevoye, le haut-com-
missaire chargé de ce dossier, a dévoilé, le
18 juillet, ses recommandations dont le gouver-
nement devrait s’inspirer pour bâtir le système
universel qui remplacera les quarante-deux ré-
gimes obligatoires existants. Un chantier à
hauts risques, socialement parlant, car de nom-
breux assurés considèrent qu’ils vont y perdre.
En particulier les salariés des régimes spéciaux
et certains fonctionnaires relevant des catégo-
ries actives (aides-soignantes, etc.), qui ne pour-
ront plus, à terme, réclamer le versement de leur
pension, à 52 ou à 57 ans, comme aujourd’hui.
Les professions libérales, elles, redoutent de voir
leurs cotisations augmenter fortement.
La rentrée s’annonce donc mouvementée. Les
avocats manifesteront le 16 septembre. Oppo-
sées depuis le départ au projet, Force ouvrière

et la CGT ont, elles aussi mais séparément, ap-
pelé à descendre dans la rue – le 21 septembre
pour la première et le 24 pour la seconde. La
CFDT, pour sa part, se dit favorable au principe
d’une transformation systémique, tout en reje-
tant une des préconisations-phares de M. Dele-
voye : celle consistant à instaurer un « âge de
taux plein identique pour tous » (64 ans pour les
personnes nées en 1963), qui se traduirait par
une minoration de la pension pour les assurés
partant à la retraite avant cette borne d’âge.
L’exécutif a annoncé une nouvelle phase de
concertation, qui débutera à la rentrée. Les par-
tenaires sociaux seront reçus à Matignon les 5
et 6 septembre. Un projet de loi devrait ensuite
être présenté en conseil des ministres d’ici à la
fin de l’année et soumis au Parlement au pre-
mier semestre 2020. Le chemin à emprunter
sera long et parsemé d’embûches.p
bertrand bissuel

Retraites Premières turbulences dès septembre


L


es vacances seront stu-
dieuses », a commenté
Emmanuel Macron,
samedi 27 juillet, alors
qu’il échangeait avec
des Français à Bor-
mes-les-Mimosas (Var). Installé
au fort de Brégançon avec son
épouse depuis à peine trois jours,
le chef de l’Etat tient à se montrer
« à la tâche et vigilant ». Il rentrait
de Tunisie, où il avait assisté aux
funérailles du président Béji Caïd
Essebsi, et le 19 août, il recevra
Vladimir Poutine dans la rési-
dence présidentielle d’été, à cinq
jours du G7 de Biarritz (Pyrénées-
Atantiques). Le président de la Ré-
publique devrait aussi assister
aux cérémonies du 75e anniver-
saire du Débarquement en Pro-
vence, à la mi-août.
Au-delà de son agenda diploma-
tique, Emmanuel Macron est re-
venu samedi, entre deux selfies
avec des badauds, sur la crise des
« gilets jaunes ». « Je ne pense pas
du tout que ce soit derrière nous »,
a-t-il lancé, alors que l’après-midi
même, la permanence perpigna-
naise du député (La République
en marche, LRM) des Pyrénées-
Orientales, Romain Grau, avait
été prise pour cible par des mani-
festants. « Il y a des problèmes pro-
fonds dans notre pays, a poursuivi
le chef de l’Etat. Il faut continuer à
agir concrètement pour nos conci-

toyens à la rentrée, c’est ce que j’ai
demandé au gouvernement. »
Même si l’heure de la pause
estivale a sonné, Emmanuel Ma-
cron travaille donc à préparer
une rentrée qui s’annonce « char-
gée », avec au programme des ré-
formes politiquement risquées,
comme il l’a répété à ses troupes
ces derniers jours. Et si le grand
débat national a permis à l’exécu-
tif de libérer les ronds-points et
de sauver le score de LRM aux
élections européennes du 26 mai,
« tout cela reste d’une grande fra-
gilité », commente un proche du
président.

POURSUIVRE LES RÉFORMES
Le chef de l’Etat n’a d’ailleurs pas
vraiment incité ses ministres au
farniente cet été. « Vous devez
partir en vacances la peur au ven-
tre », a-t-il lancé lors du conseil
des ministres du 17 juillet. Mes-
sage reçu : plusieurs membres du
gouvernement profitent de cette
fin juillet pour avancer sur les
dossiers qui les occuperont dès la
fin août.
Cette semaine, on pourra en-
core voir la longue silhouette
d’Edouard Philippe déambuler
à Matignon. A l’hôtel de Roque-
laure, Elisabeth Borne, qui vient
de remplacer François de Rugy au
ministère de la transition écolo-
gique et solidaire, potasse les

sujets sur lesquels il lui faudra
vite être incollable. A Bercy,
Bruno Le Maire cherche les
moyens de faire des économies
pour le budget 2020, après que le
gouvernement a lâché plus de
17 milliards d’euros pour le pou-
voir d’achat des Français dans la
foulée de la crise des « gilets jau-
nes » et du grand débat.
Christophe Castaner à l’inté-
rieur, Nicole Belloubet à la justice,
Jean-Yves Le Drian aux affaires
étrangères ou encore Muriel
Pénicaud au travail n’ont pas non
plus encore pris leurs quartiers
d’été. « C’est une philosophie chez
Emmanuel Macron, c’est quasi
spirituel. Il prône l’inconfort, sans
quoi il redoute que les gens s’en-
dorment », commente un con-
seiller de l’exécutif.
Si le choix des mots du chef de
l’Etat a surpris, personne, dans
son entourage, n’imagine pour
autant que l’acte II du quinquen-
nat sera une promenade de santé.
« Pendant les deux premières
années, on a réformé à marche
forcée, ça a été “marche ou crève”.
Aujourd’hui, tout ce qui renvoie
vers la verticalité, l’individualisme,
ce n’est plus possible. Mais il faut
trouver un moyen de continuer à
marcher », résume un proche du
pouvoir.
Ce sera tout l’enjeu de la ren-
trée : poursuivre les réformes, en
faisant attention à ne pas déclen-

cher de réactions épidermiques
ici ou là dont on ne maîtriserait
pas les suites. « On a des nouvelles
formes de mobilisation, ponctuel-
les, hors des clous. On l’a vu avec
les “gilets jaunes” mais pas seule-
ment. Par exemple lors des grèves
des correcteurs du bac », précise
un conseiller de l’exécutif.
« Nous ne reprendrons pas le
cours normal de nos vies », avait
lancé le chef de l’Etat, le 10 dé-
cembre 2018, en annonçant le
lancement du grand débat. « Les
transformations en cours ne doi-
vent pas être arrêtées », elles doi-
vent être « poursuivies et intensi-
fiées », a-t-il conclu le 25 avril, à
l’issue de cette consultation d’un
genre inédit, tout en promettant
un mandat « plus humain » et
« un changement de méthode très
profond ».
Ainsi, le gouvernement veut
donner des gages. « Il y a une
réelle volonté de désamorcer les
polémiques éventuelles », juge
Roland Lescure, député (LRM)
des Français de l’étranger. Sur les
retraites, l’exécutif a retoqué la
demande de Bercy de faire de
nouvelles économies et préfère
se concentrer sur la réforme
structurelle à laquelle travaille
Jean-Paul Delevoye depuis des
mois. De même, puisque Emma-
nuel Macron a promis de ne pas
réduire les effectifs dans l’éduca-
tion nationale et d’embaucher
dans la police, la justice et les
armées, l’Etat a ramené de
50 000 à 15 000 le nombre de
postes qu’il entend supprimer
dans la fonction publique sur le
quinquennat.

« TOUT PEUT S’EMBRASER »
Pour autant, l’Elysée sait que, de la
création d’un système de retraite
par points à l’extension de la pro-
création médicalement assistée
(PMA) aux femmes célibataires et
homosexuelles, les dossiers à ris-
que sont nombreux. Sans oublier
la rentrée scolaire, notamment

au lycée où les professeurs vont
expérimenter les premières éta-
pes de la réforme du bac. Ou en-
core le débat au Parlement sur
l’immigration qu’a promis Em-
manuel Macron et qui doit avoir
lieu au mois de septembre.
Le G7, qui doit se tenir à Biarritz
entre le 24 et le 26 août et qui sera
consacré à la thématique des iné-
galités, « peut aussi se transfor-
mer en prérentrée sociale », re-
doute un conseiller de l’exécutif.
Et gâcher les plans d’Emmanuel
Macron, qui y voit l’occasion de
réaffirmer la place de la France
dans le monde et de prendre de la
hauteur. « Tout peut s’embraser,
tout le temps », assure un proche
du président. Le traité de libre-
échange entre l’Union euro-
péenne et le Canada (CETA), que
l’Assemblée nationale a voté
à une courte majorité le 23 juillet,
fait partie des dossiers identifiés
à risque. Le 25 juillet, des agricul-
teurs de Haute-Saône ont érigé
un mur devant la permanence de
la députée (LRM) Barbara Bessot
Ballot qui a soutenu l’accord de
commerce avec Ottawa. « L’arri-
vée du texte au Sénat [sans doute
à l’automne] peut-être délicate »,
concède Roland Lescure.
Au sein de l’exécutif comme de
la majorité parlementaire, on est

à l’affût de ces « signaux faibles »
qui pourraient préfigurer une
nouvelle crise. « C’est moins la ré-
forme des retraites qui m’inquiète
que des petits foyers qui ne de-
mandaient qu’à être ravivés. Par-
tout on marche sur des braises »,
lance un député de la majorité.
Cet élu s’inquiète de la fermeture
de « trois trésoreries » dans sa cir-
conscription « en plein été! »,
alors que les Français ont ex-
primé durant le grand débat leur
crainte de voir les services publics
disparaître sur les territoires.

« RIEN NE NOUS EST ÉPARGNÉ »
Certains de ses collègues crai-
gnent aussi les effets que pour-
rait avoir la remontée de la fisca-
lité sur le gazole non routier, des-
tinée à financer en partie la
baisse de 5 milliards d’euros de
l’impôt sur le revenu, ou encore
le moindre financement des
chambres d’agriculture prévu
dans le budget 2020.
« Il y a beaucoup de corpora-
tions qui peuvent grogner et ça
peut s’agréger », anticipe un pilier
du groupe LRM de l’Assemblée
nationale qui cite pour sa part les
chauffeurs routiers, mécontents
de la nouvelle réglementation
sur les contrats courts et de la
baisse prévue du rembourse-

Assurance-chômage : les décrets publiés


Les décrets relatifs à la réforme de l’assurance-chômage
ont été publiés au Journal officiel du dimanche 28 juillet.
Désormais, pour être éligible à une allocation, il faudra avoir
travaillé au moins six mois sur une période de vingt-quatre mois,
contre quatre mois au cours des vingt-huit derniers mois.
Les employeurs, qui se séparent de leurs salariés à un rythme
très supérieur à la moyenne, verront leurs cotisations augmenter
jusqu’à un taux de 5,05 %, au maximum – soit 0,05 point de plus,
par rapport au projet dévoilé le 18 juin par l’exécutif. Le patronat
est contre un tel mécanisme qui concerne sept secteurs
d’activité. Président de la Confédération des petites et moyennes
entreprises, François Asselin envisage – « si c’est possible » –
un recours contre le texte devant le Conseil d’Etat.

« EMMANUEL MACRON


PRÔNE L’INCONFORT,


SANS QUOI IL REDOUTE


QUE LES GENS


NE S’ENDORMENT »,


COMMENTE


UN CONSEILLER


DE L’EXÉCUTIF

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