MondeLe - 2019-07-30

(Sean Pound) #1

MARDI 30 JUILLET 2019 planète | 9


T

rois mois après l’incen-
die de Notre-Dame,
l’Agence régionale de
santé (ARS) d’Ile-de-
France, la préfecture de police et
la Mairie de Paris avaient convié
la presse, le 19 juillet, à un « point
de situation » visant à rassurer les
Parisiens sur les risques liés à la
pollution au plomb. « Toutes les
données que nous avons pu collec-
ter jusqu’ici montrent que la santé
de la population a été préservée »,
avait répété le directeur de l’ARS,
Aurélien Rousseau. Il n’a pas con-
vaincu tout le monde.
Selon les informations du
Monde, l’association Robin des
Bois a déposé une plainte contre
X pour « mise en danger de la
personne d’autrui », vendredi
26 juillet, devant le tribunal de
grande instance de Paris. En
pointe sur les dossiers de pollu-
tion, l’association avait, la pre-
mière, alerté sur les risques sani-
taires après la catastrophe. Entre
la toiture et la flèche, près de
400 tonnes de plomb ont pris
feu le 15 avril et sont retombées
sous forme de poussières sur le
site et aux alentours, sur un péri-
mètre indéterminé.
Or, l’exposition au plomb peut
provoquer des maladies graves. Il
est toxique pour la reproduction,
considéré comme potentielle-
ment cancérogène par le Centre
international de recherche sur le
cancer, et les enfants sont particu-
lièrement sensibles au risque de
saturnisme en cas d’ingestion.
Surtout, l’Organisation mondiale
de la santé précise qu’« il n’existe
pas de concentration de plomb
dans le sang qui soit sans danger ».
Dans sa plainte, l’association re-
proche aux autorités plusieurs

« carences fautives ayant pour
conséquences la mise en danger
délibérée de la personne d’autrui et
la non-assistance à personne en
danger ». Des carences dans la
mise en œuvre de mesures de
protection et d’information des
populations comme des tra-
vailleurs. « En trois mois, nous
avons accumulé assez de preuves
de l’inertie des pouvoirs publics
pour décider de saisir la justice »,
explique Jacky Bonnemains, di-
recteur de Robin des Bois.

Taux « gigantesques »
L’ARS, comme la Mairie de Paris
et la préfecture assurent avoir
pris les mesures adaptées et com-
muniqué en toute « transpa-
rence ». Ce n’est pourtant que le
29 avril que les premières consi-
gnes de prévention (nettoyage et
hygiène) sont diffusées aux rive-
rains. Et la cartographie des ni-
veaux de plomb, réclamée de-
puis l’incendie par l’association,
n’a été rendue publique que le
18 juillet. Elle fait apparaître par
endroits des taux très élevés.
Jusqu’à 500 000 microgrammes
par mètre carré sur le parvis de
Notre-Dame (toujours fermé au
public) ou encore 20 000 μg/m^2
autour de la très fréquentée fon-
taine de la place Saint-Michel (ja-
mais fermée au public). Très au-
dessus de la « valeur environne-
mentale » de 5 000 μg/m^2 rete-
nue par l’ARS pour caractériser le
« bruit de fond » parisien ; une va-
leur qui ne constitue pas une « ré-
férence sanitaire », précise
l’Agence. « Ça me fait bondir d’en-
tendre ça d’une institution de
santé », réagit Annie Thébaud-
Monny, directrice de recherches à
l’Institut national de la santé et de

la recherche médicale. « Les taux
retrouvés sont gigantesques. Ils
correspondent à ce qu’on peut voir
sur des chantiers de dépollution de
sites de recyclage de batteries ou
de traitement de déchets électro-
ménagers. Ils sont la marque d’une
contamination massive qui fera
forcément des victimes. »
Des niveaux supérieurs à
5 000 μg/m^2 ont aussi été re-
trouvés dans des écoles autour de
Notre-Dame. Deux établisse-
ments du 6e arrondissement qui
accueillaient des enfants en cen-
tre de loisirs pendant les vacan-
ces ont été fermés jeudi 25 juillet
« par mesure de précaution » et
pour pouvoir procéder à leur dé-
contamination. Un peu tard pour
Annie Thébaud-Monny et Jacky
Bonnemains. Les deux lanceurs
d’alerte sont également « très in-
quiets pour les travailleurs ». Sur
le chantier de Notre-Dame, il y a

encore quelques semaines, cer-
tains ouvriers ne portaient pas
de masque de protection. Le pré-
fet d’Ile-de-France, Michel Cadot,
a suspendu jeudi les travaux à la
suite d’un rapport de l’inspection
du travail pointant des failles
béantes dans les règles de précau-
tion sanitaires.
Celles-ci n’étaient « pas suffi-
samment » ni « systématiquement
appliquées » et « les installations
de décontamination [étaient]
sous-dimensionnées », a indiqué
le préfet. « La minimisation qui a
été faite est catastrophique. Les
précautions qui s’imposaient n’ont
pas été prises. Un suivi médical
doit être mis en œuvre, et à vie car
comme pour l’amiante, les cancers
peuvent apparaître dix, vingt ou
trente ans plus tard », met en
garde la chercheuse.
Jacky Bonnemains est égale-
ment préoccupé par la situation
des agents de la Ville de Paris qui
balaient sans protection les rues
autour de la cathédrale, des com-
merçants ou des bouquinistes.
L’inquiétude gagne aussi les rangs
des pompiers. Le collectif fédéral
CGT des services départementaux
d’incendie et de secours a écrit au
commandement de la brigade des
sapeurs-pompiers de Paris. Inti-
tulé « Incendie de Notre-Dame,
une opération plombée », le cour-
rier vise à « connaître les mesures
prises pour les agents engagés ». La
CGT attend toujours la réponse.

« Les autorités jouent la montre
car elles savent que l’empreinte
de l’incendie va petit à petit
diminuer et se déplacer », estime
Jacky Bonnemains. Le 19 juin, la
SNCF a dû fermer la station Saint-
Michel du RER C et la nettoyer
après avoir constaté des ni-
veaux élevés de plomb sur une
passerelle. Selon la SNCF, les
poussières auraient été « appor-
tées par les semelles des chaussu-
res » des usagers.

Niveaux « très atypiques »
Les particules de plomb se sont
également déplacées dans l’air.
Airparif, l’organisme chargé de
la surveillance de la qualité de
l’air en Ile-de-France, n’a pas
constaté d’augmentation de la
concentration en plomb à Paris
après l’incendie. Mais sa seule
station urbaine mesurant encore
le plomb (depuis son interdic-
tion dans l’essence en 2000) est
située dans le 18e arrondisse-
ment, au nord de la capitale. Or,
lorsque la cathédrale a pris feu, le
vent venait de l’est, poussant le
panache de fumée vers l’ouest, le
long de la Seine.
Airparif a, en revanche, cons-
taté des niveaux « très atypi-
ques » sur son site de surveillance
de Limay dans les Yvelines, à une
quarantaine de kilomètres à
l’ouest de Paris, situé dans la di-
rection des vents pendant l’in-
cendie. Dans la semaine du 15 au

« On n’a pas de recommandations sanitaires dans les rues »


Si des niveaux préoccupants ont été relevés, l’absence de seuil réglementaire sur la concentration de plomb rend les estimations difficiles


Q


ue sont devenues les
tonnes de plomb du toit
et de la flèche de Notre-
Dame? Une partie a
fondu et se trouve toujours dans
la cathédrale ; le reste s’est dis-
persé au gré des vents et de la gra-
vité sur le sol parisien et à l’ouest
de la capitale, sans que personne
ne sache réellement jusqu’où, ni
le risque encouru par les popula-
tions concernées.
Des mesures préoccupantes
ont été relevées – allant jusqu’à
1,3 million μg/m^2 aux abords de
l’édifice – mais elles « paraissent
élevées parce qu’on n’a pas de re-
commandations sanitaires dans
les rues », explique Cécile Somar-
riba, coordinatrice de la plate-
forme d’urgences sanitaires de
l’agence régionale de santé (ARS)
d’Ile-de-France. Il n’existe aucun
seuil sanitaire pour les poussiè-
res de plomb dispersées en exté-
rieur sur des sols en dur. Les
autorités sanitaires fixent bien
une valeur réglementaire à ne
pas dépasser de 1 000 μg/m^2 ,
mais elle ne concerne que les
poussières en intérieur.

Depuis la catastrophe, l’ARS a
cherché à estimer la présence de
plomb préexistante dans les rues
de la capitale. Ce matériau étant
historiquement utilisé au cœur
de la ville pour le réseau d’adduc-
tion d’eau, dans l’essence et dans
les peintures, l’ARS a estimé le
« bruit de fond » de pollution pari-
sienne à une concentration en
plomb de l’ordre de 5 000 μg/m^2.

« Il y a lieu de s’inquiéter »
Cette valeur, précise l’agence, ne
correspond pas à un seuil envi-
ronnemental ou sanitaire.
« Aucun expert, aucune n’agence
n’a dit qu’il y avait un risque ou
qu’il n’y en avait pas au-dessus de
ce seuil », assure le directeur de ca-
binet du directeur général de
l’ARS, Bruno Vincent. Ce chiffre
fait pourtant figure de référence
pour orienter les mesures de
santé mises en place par l’ARS de-
puis l’incendie. Dans son com-
muniqué du 18 juillet l’ARS pré-
cise que cette valeur a été fixée à
partir de deux études « comman-
ditées par la direction régionale
des affaires culturelles [DRAC]

en 2017 et 2018 dans le cadre de ses
missions relatives au suivi des mo-
numents historiques ».
Pour la DRAC, ces études « ne
sont en aucun cas destinées à ré-
pondre à des questions de santé
publique ». L’étude principale de
2017 sur laquelle l’ARS dit s’être
appuyée est un simple tableur. Le
fichier liste 102 prélèvements
bruts réalisés dans Paris en 2017.
Seuls cinq prélèvements affi-
chent des taux supérieurs à
5 000 μg/m^2 ; la moyenne se si-
tue à 1 346 μg/m^2. Selon les expli-
cations de l’ARS, celle-ci « a retenu
ce qui peut paraître être un taux
habituel dans Paris ».
La détermination de ce « bruit de
fond » n’est pas sans susciter d’in-
terrogations. Pour Fabien Squi-
nazi, membre de la Commission
spécialisée sur les risques liés à
l’environnement et qui a parti-
cipé à l’élaboration des dernières
normes française sur le satur-
nisme, la valeur est bien trop éle-
vée. Avec une référence à
5 000 μg/m^2 , « il y a lieu de s’in-
quiéter », affirme-t-il. Si le niveau
de pollution au plomb auquel on

peut s’attendre dans la capitale
est réellement de cet ordre, il fau-
drait, dit-il, « dépister tous les en-
fants de Paris ».
Pourtant, c’est bien en vertu de
cette valeur de 5 000 μg/m^2 que
la fermeture de deux écoles rue
Saint-Benoît dans le 6e arrondis-
sement a été initialement déci-
dée, jeudi 25 juillet. Peu après la
décision, la Mairie de Paris l’a con-
firmé, certifiant par ailleurs
qu’elle « applique ce que dit l’ARS,
en collaboration avec eux ».

Parcs et aires de jeu
Dimanche, le premier adjoint
d’Anne Hidalgo, Emmanuel Gré-
goire, s’est fait plus précis : « Ce
sont 7 000 μg/m^2 qui ont été rele-
vés dans une cour. Il y a eu un pre-
mier lavage et un deuxième relevé
à 3 500 μg/m^2. L’objectif que l’on se
fixe collectivement, c’est de repas-
ser sous les 1 000 μg/m^2 », une va-
leur indiquée par l’ARS selon l’élu.
« C’est possible que l’on rouvre
dans quarante-huit heures. Et
pour être complet, nous n’avions
aucune obligation de fermer
l’école. [Le taux de 7 000 μg/m^2 ]

ne déclenche aucune alerte sani-
taire particulière », conclut-il.
L’absence de réglementation
sanitaire concerne aussi les parcs
et aires de jeu. Seuls certains
d’entre eux, proches de la cathé-
drale, ont été analysés bien que
l’amplitude de la dissémination
reste inconnue. Pour Jacky Bon-
nemains, directeur de l’associa-
tion Robin des Bois, « il serait de
bon sens d’étudier les retombées
dans les jardins publics depuis le
square du Vert-Galant [sur l’île de
la Cité] jusqu’au bois de Boulo-
gne ». Car, pour les enfants, les
risques d’ingestion des particu-

Les autorités
fixent une valeur
à ne pas dépasser
de 1 000 μg/m^2 ,
mais elle ne
concerne que
les poussières
en intérieur

« La minimisation
qui a été faite est
catastrophique.
Les précautions
qui s’imposaient
n’ont pas
été prises »
ANNIE THÉBAUD-MONNY
chercheuse

Sur le chantier de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, le 24 juillet. RAFAEL YAGHOBZADEH/REUTERS

les de plomb par contact mains-
bouche sont fréquents.
Alors que plusieurs associations
s’inquiètent des retombées de
plomb au sol, l’ARS comme la Mai-
rie de Paris restent sereines.
« Tous les indicateurs sont bons,
donc il n’y a pas de raison d’avoir
une appréciation alarmiste », as-
sure Bruno Vincent, de l’ARS. Un
constat que partage aussi la mu-
nicipalité, qui considère qu’« au
regard [des] critères définis par les
autorités sanitaires de l’Etat, [il
n’existe pas] pas “d’alerte” de
santé ». L’une comme l’autre esti-
ment avoir d’ailleurs fait tout le
nécessaire en matière de préven-
tion, de nettoyage et de conseil.
Pour autant, quand l’ARS est in-
terrogée sur la présence ou non
d’une crise sanitaire, les interlo-
cuteurs préfèrent faire un pas de
côté : « On adapte nos mesures et
nos actions en fonction de ce qu’on
observe. [Si] des indicateurs font
modifier notre appréciation de la
situation, on adaptera à nouveau
nos mesures. »p
jérémie baruch
et audrey freynet

Notre-Dame : une


plainte déposée


pour les risques


liés au plomb


L’association Robin des Bois, qui avait


lancé l’alerte après l’incendie, a saisi le


tribunal de grande instance de Paris,


dénonçant des « carences fautives »


22 avril, la concentration en
plomb y a atteint 0,108 μg/m^3
(contre seulement 0,003 μg/m^3
à la station du 18e arrondisse-
ment). Des niveaux qu’Airparif
avait jusqu’ici seulement retrou-
vés ponctuellement, par exem-
ple sur le site industriel de Ba-
gneaux-sur-Loing, en Seine-et-
Marne (0,091 μg/m^3 en 2017).
« Ces éléments tendent à indiquer
qu’il y aurait un impact de l’incen-
die dans la zone de retombée du
panache, et que cette zone serait
relativement éloignée de Paris »,
en déduit Airparif. Pour autant,
l’ARS n’y a pas diligenté de prélè-
vements sur le terrain.
Le directeur de Robin des Bois
s’inquiète enfin pour la Seine, ré-
ceptacle des poussières de plomb
drainées par les eaux de pluie ou
celles utilisées par les agents mu-
nicipaux pour nettoyer les rues.
D’autant que la station d’épura-
tion d’Achères (Yvelines), qui
traite 60 % des eaux usées de
l’agglomération parisienne,
tourne au ralenti depuis un
incendie (le troisième en dix-
huit mois) début juillet. Plu-
sieurs tonnes de poissons morts
ont été repêchées dans le fleuve
après ce nouvel incident. « Je ne
serais pas surpris si on retrou-
vait dans quelques mois la signa-
ture de Notre-Dame jusque
dans les coquilles Saint-Jacques
en baie de Seine. »p
stéphane mandard
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