Libération - 03.08.2019

(Axel Boer) #1

non j’aurais accepté, je n’ai pas l’habitude
de me défiler.»«On peut être en désac-
cord, les revendications catégorielles ne
datent pas d’hier mais elles ne doivent
pas prendre cette tournure,poursuit-elle.
Ce n’est pas normal de légiférer sous la
menace et la vindicte.»
Entré en vigueur fin 2017, le Ceta in-
quièteles éleveurs bovins qui craignent
un deux poids deux mesures sur le ca-
hier des charges sanitaires qui leur est
imposé, quand leurs concurrents outre-
Atlantique sont soumis à des normes
moins strictes. S’il a rappelé l’obligation
pour les Canadiens de se conformer aux
standards européens, le gouvernement
a peiné à convaincre qu’aucune viande
nourrie aux farines animales ne passe-
rait à travers les mailles des contrôles.
Pour le député LREM et éleveur Jean-
Baptiste Moreau, dont la permanence a
aussi été murée la semaine dernière,
«ce type d’action n’a jamais rien résolu».
«Contrairement à ce qu’affirment les res-
ponsables syndicaux, loin de canaliser la
violence, cela l’excite. Mais c’est plus fa-
cile de déverser des bennes de fumier que
de chercher des solutions», ccuse l’élua
creusois, défenseur du Ceta.


Distinguo. D’autres locaux de parle-
mentaires ont été visés dans le Lot-et-
Garonne, en Saône-et-Loire eten Ile-de-
France, mêlant parfois, comme sur la
permanence du député parisien et délé-
gué général de LREM, Stanislas Guerini,
tags anti-Ceta et accusations contre la
police. La majorité a condamné à l’unis-
son ces actions, s’élevant contre un«déni
de démocratie» t appelante «à l’apaise-
ment». lue du Tarn, où l’on célébrait,E
cette semaine la mémoire de Jean
Jaurès, Marie-Christine Verdier-Jouclas
(LREM) s’est emballée jusqu’à voir dans
cet hommage«un sens très fort dans une
période de violences et de dégradations
envers les permanences».
Le phénomène ne date pas de cette
mandature, mais de nombreux députés
LREM avaient été pris pour cible cet
hiver au plus fort de la crise des gilets
jaunes. Les intimidations et violences
étaient alorsnettement montées d’un
cran, allant parfois jusqu’à l’intrusion au
domicile des élus. Le député Alexis Cor-
bière (LFI) a, lui, fait le distinguo entre
«les gens qui cassent une vitrine et
mettent le feu» comme à Perpignan sa-–
medi dernier, où la permanence du mar-
cheur Romain Grau a été saccagée, a
priori sans lien avec le Ceta – et les agri-
culteurs qui«déversent du fumier».Tout
comme l’eurodéputé LREM Jérémy De-
cerle, qui a appelé sur Europe 1 à ne pas
confondre«ce qui est du vandalisme, fait
par des activistes qui sont non identi-
fiés»,et les actions menées et revendi-«
quées par la FDSEA et les Jeunes Agri-
culteurs».Lui-même ex-président des
JA et réservé sur le Ceta, il a plaidé la
cause des agriculteurs, qui«ont besoin
de réponses et d’attention».•


F


abienne Garel, pro-
ductrice de lait et prési-
dente de la Fédération
départementale des syndicats
d’exploitants agricoles (FDSEA)
des Côtes-d’Armor, explique la
colère des agriculteurs par le
double discours de la majorité
qui dit vouloir aider l’agriculture
française mais vote des traités
facilitant une concurrence dé-
loyale venue d’outre-Atlantique.
Que pensez-vous des dégra-
dations commises par des
agriculteurs sur des perma-
nences de députés LREM en
Haute-Garonne?
Je comprends les manifestations
de mes collègues agriculteurs
dans la mesure où le vote du Ceta
représentait de très grands en-
jeux pour l’agriculture française,
pour son élevage, mais aussi
pour l’alimentation et le
consommateur. Or, la politique
du «en même temps» de LREM
conduit à des aberrations. D’un
côté, nous avons beaucoup tra-
vaillé pour la loi Egalim, issue
des Etats généraux de l’alimenta-
tion, en prenant de grands enga-
gements pour une montée en
gamme de nos produits,faire
évoluer nos pratiques par rap-
port aux animaux d’élevage,à
l’environnement. Et de l’autre,
les députés LREM votent pour le
Ceta qui va faciliter l’importa-
tion de produits qui ne respec-
tent aucune de nos normes. C’est
complètement contradictoire.
De quelles normes est-ilques-
tion?
Par rapport aux cultures, il y a
précisément 46 produits phyto-
sanitaires qui sont autorisés au
Canada et interdits en France et
en Europe, comme l’atrazine par
exemple. Les antibiotiques
comme facteurs de croissance
pour les bovins sont également
autorisés dans les élevages cana-
diens alors qu’ils sont interdits

chez nous, de même que l’utilisa-
tion de farines animales dans
leur alimentation. La taille des
élevages outre-Atlantique est
aussi très différente, avec de très
grandes exploitations, alors
qu’en France on reste attachés à
des exploitations familiales qui
subiront une concurrence totale-
ment déloyale.
Le président de l’Assemblée
nationale, Richard Ferrand,
a voulu rassurer les agricul-
teurs en affirmant que les
normes sanitaires européen-
nes seraient respectées et que
les produits importés se-
raient soumis à un«strict
contrôle documentaire et
d’identité aux portes de
l’UE». u’en pensez-vous?Q
Les accords stipulent en effet
que les produits importés de-
vront respecter nos normes en
matière de farines animales,
d’antibiotiques, d’OGM ou de
pesticides. Sauf qu’on n’a aucune
vision ur les contrôles qui se-s
ront vraiment effectués et que,
alors que les moyens de l’Etat
sont réduits un peu partout, on
peut se demander comment ils
seront exercés. Si ce sont simple-
ment des papiers remplis par les
Canadiens, on peut douter de
leur efficacité. Et avant qu’on
connaisse les résultats des tests
en laboratoire dont il est aussi
question, les produits auront
déjà été consommés.Comment
pourrons-nous contrôler l’ali-
mentation des bovins canadiens
ou leur consommation d’anti-
biotiques alors que nous-mêmes
sommes engagés dans des pro-
grammes de diminution de leur
usage quand nos animaux sont
malades? La question se pose.
L’accord UE-Mercosur, qui fa-
ciliterait les échanges de pro-
duits agricoles avec l’Améri-
que du Sud, est-il un motif
d’inquiétude particulier ou de
même nature qu’avec le Ceta?
L’inquiétude est encore plus
forte avec le Mercosur, notam-
ment par rapport aux questions
de traçabilité qui n’ont rien à voir
avec ce qui est pratiqué en Eu-
rope, avec des cahiers des char-
ges très différents. En France,
tout est marqué, dans nos éleva-
ges, vis-à-vis de nos cultures, de
nos animaux. En Argentine ou

au Brésil, dans des exploitations
de 10 000 à 20 000 têtes de bo-
vins à l’engraissement, les condi-
tions d’élevage n’ont rien à voir.
Ne serait-ce que par rapport aux
normes sociales. Ici les coûts de
la main-d’œuvre
sont relativement
élevés, en raison de
la protection so-
ciale des salariés et
c’est une bonne
chose, il faut garder
cela. Mais demain,
avec le Ceta ou l’ac-
cord UE- Mercosur,
nos exploitations
seront encore plus
fragiles car moins
compétitives.
Pour Richard Ferrand, qui
prévoit sur un an«une aug-
mentation historique des ex-
portations du secteur agroa-
limentaire vers le Canada», el
Ceta serait au contraire une
«chance pour l’agriculture»:

ne pensez-vous pas que ces
accords ouvrent aussi des op-
portunités à l’export?
Peut-être pour certaines filières,
comme le lait, ou certains pro-
duits élaborés. Encore faudrait-il
savoir lesquels.
Mais le plus grave
est que l’on va im-
porter des produits
qui ne sont pas sou-
mis aux mêmes
contraintes et que
l’on va ainsi brader
la qualité de notre
alimentation. Com-
ment pourra-t-on
savoir quand un
produit élaboré
contient du bœuf canadien ou
du bœuf français? L’agriculture
française est toujours en tension,
avec des difficultés dans les filiè-
res bovines ou le lait, le Ceta ne
fera que la fragiliser davantage.
Recueilli par
PIERRE-HENRI ALLAIN

DR

«


«Avec ces traités, on va brader la


qualité de notre alimentation»


Fabienne Garel,
présidente de la
FDSEA des Côtes-
d’Armor, explique
à «Libération»
en quoi les accords
transatlantiques
menacent les
exploitants français.

INTERVIEW


Libération Samedi3 e t Dimanche4 Août 2019 http://www.liberation.fr f acebook.com/liberation f t @libe u 13

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