Libération - 03.08.2019

(Axel Boer) #1

II u ibération L Samedi3 e t Dimanche4 Août^2019


A


-t-il levé un sourcil cir-
conspect en identifiant
l’énorme bouée, un canard
jaune à crête bleue posé à
côté des transats? S’est-il demandé
ce que venait faire cet accessoire in-
congru au cœur de la scène torride
étalée en première page duDaily
Mirror Ou s’est-il immédiatement?
étranglé avec son porridge en dé-
couvrant les seins nus de sa bru éta-
lés sur dix pages du tabloïd? Le
prince Philip, époux de la reine Eli-
zabeth II, n’a jamais rien raconté de
ce petit-déjeuner calamiteux. Dans
une interview, son ex-belle-fille Sa-
rah Ferguson a un jour simplement
lâché:«Disons que le porridge a eu
le temps de refroidir.»
Ce jeudi 20 août 1992, comme tous
les étés, la famille royale britanni-
que est réunie dans le domaine du
château de Balmoral, dans le nord
de l’Ecosse. Le choix des plaisirs
simples est large: pêche à la truite,
balades à cheval dans la lande,
peut-être aussi une partie de cro-
quet sur la pelouse avant l’inévita-
bleafternoon tea t les jeux de car-e
tes près du feu de cheminée. Même
au mois d’août, à la tombée du jour,
le fond de l’air est frais dans le pays.
En mars, Sarah Ferguson et le
prince Andrew, troisième enfant de
la reine et selon certains son pré-
féré, ont annoncé leur séparation.
Ils s’étaient mariés en grande
pompe en juillet 1986. Le couple est
pourtant réuni à Balmoral et fait
bonne figure, avec ses deux petites
filles, Beatrice, 4 ans, et Euge-
nie, 2 ans.

Foudroyée et bannie
Le petit-déjeuner est servi et au mi-
lieu de la porcelaine et de l’argente-
rie aux armoiries royales, les quoti-
diens du jour sont posés sur un
plateau d’argent (enfin on suppose,
on n’y était pas, mais on a vu la sé-
rieDownton Abbey). Le prince Phi-
lip empoigne leDaily Mirror t, pare
ce geste anodin, éradique Sarah de
la famille royale. Pourtant, il aimait
bien cette jeune rousse si gaie, do-
tée d’un franc sens de l’humour et
de l’autodérision. Il la connaît de-
puis toute petite: son père, le major
Ronald Ferguson, était responsable
de son écurie de chevaux de polo,
avant de s’occuper de celle de son
fils le prince Charles, héritier du
trône. La reine aussi l’apprécie
beaucoup, au contraire de son autre
belle-fille Diana, qu’elle juge très
–trop– compliquée. Sarah adore les
chevaux –petite, elle rêvait d’être
écuyère– et c’est un atout de poids
pour plaire à la souveraine. Mais à
cette heure, à cette minute précise,

tout cela n’a plus d’importance.
Dans quelques minutes, la jeune
femme de 32 ans roulera vers l’aéro-
port d’Aberdeen avec ses deux
filles, en route pour rentrer à Lon-
dres, expulsée de Balmoral et de la
famille royale dans le déshonneur
le plus profond. Son conte de fée est
fracassé. Hasard (ou pas) cruel du
sort, à son arrivée devant sa de-
meure, la grille ne s’ouvre pas et la
duchesse passe de longues minutes
de supplice, assise à l’arrière de sa
voiture, le visage tendu et le regard
éperdu, mitraillée par les paparazzi

ravis de l’aubaine. Les photos vo-
lées et publiées dans tous les jour-
naux évoquent la Provence –elles
ont été prises dans une villa des
hauteurs de Saint-Tropez–, les ci-
gales, l’été et la détente absolue. Sur
l’une d’elles, on distingue deux bras
nus et une tête à la chevelure rousse
qui dépassent d’un transat. Ce qui
pose problème est ce qui est posé
au bout du transat. Un homme, le
crâne nu luisant de crème solaire et
les yeux cachés derrière des lunet-
tes noires tient dans sa main le joli
pied cambré de la jeune femme et

le porte à sa bouche. L’homme n’est
pas le prince Andrew, qui a encore
des cheveux. Il s’agit du conseiller
financier de Sarah Ferguson, le
Texan John Bryan. Letoegate(le
scandale des orteils) éclate. Pour se
défendre (de quoi?), John Bryan ar-
gumentera qu’il ne«suçait» as lesp
orteils de la duchesse d’York mais
les«embrassait». a nuance échap-L
pera totalement à la famille royale.
D’autant que d’autres photos sont
jugées encore plus gênantes,
comme celle où le couple s’em-
brasse fougueusement sous les

yeux de la petite Eugenie, coiffée
d’un bob blanc.
Le scandale est planétaire; Sarah,
foudroyée et bannie. Le divorce du
couple sera prononcé en mai 1996.
Plus tard, elle expliquera sa chute
par une solitude extrême.«Je suis
tombée amoureuse d’un prince, mais
je n’ai pas eu le prince, j’ai eu le pa-
lais, mais pas l’homme.» e princeL
Andrew est alors pilote d’hélicop-
tère dans la Royal Navy.«Quand on
s’est marié, il n’y avait pas Internet,
pas d’emails, j’ai vu mon mari qua-
rante jours par an pendant les
cinq premières années de notre ma-
riage.» près son divorce, celle queA
le public a surnommée «Fergie»,
tente de se réinventer. Elle écrit plu-
sieurs autobiographies où elle se
garde toujours de critiquer la reine,
«une femme fantastique et une
grand-mère formidable pour mes
filles» u même le prince Philip quio
a déclaré ne plus jamais vouloir être
dans la même pièce qu’elle. Elle
aurait pu raconter toutes les petites
manies ou travers des royaux, mais
non, elle s’abstient. Un peu comme
si, au fond, elle espérait revenir un
jour en grâce. Elle publie un livre
historique sur Buckingham Palace,
se lance dans une série d’histoires
pour enfants, autour du personnage
de Budgie, le petit hélicoptère. Ses
récits ont suffisamment de succès
pour être transformés ensérie
d’animation. lle produira mêmeE
un film,Victoria, les jeunes années
d’une reine 2009), avec Emily(
Blunt.

«J’ai tout fait mal»
Parallèlement, son train de vie ne
suit pas ses revenus financiers. Elle
est à plusieurs reprises au bord de
la faillite, son poids fluctue terrible-
ment, elle a quelques liaisons mais
rien de bien sérieux. En revanche,
elle semble plus proche que jamais
de son ex-mari Andrew. Tous les
Noëls, elle rejoint la famille royale
sur le domaine de Sandringham,
dans le Norfolk, même si elle ne
participe pas aux célébrations.
«C’est triste de ne pas avoir passé un
seul Noël avec mes filles depuis
quinze ans, onfiera-t-elle dans unec
interview,mais je suis divorcée de la
famille royale, alors...» ous les hi-T
vers, le couple part à la montagne à
Verbier, en Suisse, (parce que c’est
là que les princes et princesses vont
skier) avec ses filles et sur la carte de
vœux annuelle, la famille figure au
grand complet.
Longtemps, les tabloïds guettent le
moindre de ses faux pas, aussitôt
étalé et souvent amplifié, comme si
chaque erreur devait confirmer que
«la Firme», le surnom de la famille
royale, a eu raison de l’écarter. Elle
serre les dents, devient ambassa-
drice pour Weight Watchers, conti-
nue à donner, ici et là, des inter-

Le 17 mars 1986, fiançailles
à Buckingham d’Andrew
et de Sarah Ferguson.TIM GRAHAM
PHOTO LIBRARY. GETTY IMAGES

Par
SONIA DELESALLE-
STOLPER
Correspondante à Londres

L’ex-épouse du prince Andrew, fils d’Elizabeth II,


a le chic pour s’attirer des ennuis. Divorcée et exclue


de la famille royale après un scandale impliquant


ses orteils, gaffeuse, ruinée, boulimique, elle est depuis


peu de retour en grâce au château de Windsor.


ÉTÉ


Sarah Ferguson


La duchesse


mise à pied


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