Beaux Arts - 04.2019

(Grace) #1

116 I Beaux Arts


MUSÉES l EXPOSITIONS


Installée derrière les baies vitrées du rez-de-chaussée
du Centre Pompidou, votre exposition s’ouvre sur la rue.
Comment aborde-t-on un tel espace?
J’ai eu énormément d’émotion à investir ces salles qui
invitent à composer avec la vraie vie, avec l’homme de la rue.
Ce «maintenant» a été d’une grande aide, il a beaucoup
aiguisé ma conscience de travailler dans le présent.
C’est pourquoi j’ai fait un podium un peu dingue, en forme
de cygne, destiné à recevoir mes sculptures plus petites,
et que les piétons voient bien de l’extérieur.

Pourquoi votre accrochage évoque-t-il un paysage
de neige, où errent les silhouettes de vos sculptures?
J’ai mis longtemps à m’intéresser à l’exposition comme
médium, mais j’y viens. J’ai décidé d’arrêter de me plaindre
et de me dédier à ça. Par exemple, mettre du jaune en haut
des murs, c’est une manière de dire : oui, je suis consciente
de ces murs, et de ce plafond fou, avec tous ces tuyaux.

D’où cette mise en scène quasi japonaise, très zen
malgré la bizarrerie de vos formes?
C’est au Japon que je vais chaque fois que je veux recharger
mon esprit! Dans ma tête, c’est ça : un grand chaos,
avec une aspiration très grande à l’organisation, comme on
peut l’observer dans les pièces que j’appelle mes Cimetières
pour animaux. Au sol, en rang, sont posés tous mes échecs,

«Mutations / Créations 3
Erika Verzutti»
place Georges Pompidou
75004 Paris
01 44 78 12 33
http://www.centrepompidou.fr


mes rebuts de fonte ou d’argile, des choses non identifiées.
Les spectateurs aiment particulièrement ces pièces,
car ils y voient le pardon accordé à leurs propres échecs.

Vos dernières œuvres – bas-reliefs, tableaux,
sculptures – sont accrochées au mur : quel statut
ont-elles?
J’ai mis longtemps à oser les mettre à la verticale,
mais, maintenant, cette sensation de gravité qui se dégage
d’elles me fascine. En les revoyant toutes ainsi accrochées
au Centre Pompidou, j’ai eu envie que reviennent l’insécurité,
les doutes que je connaissais à mes débuts. Je voudrais aller
vers plus d’affection, et moins d’assertion.

Vous êtes en rupture totale avec le modernisme brésilien
et son abstraction «tropicalisée». N’y faites-vous pas
de plus en plus de clins d’œil, notamment à la peintre
Tarsila do Amaral?
De manière générale, je pars toujours de la matière,
jamais de l’histoire de l’art. J’ai beaucoup travaillé dans
ma cuisine, à mes débuts. Une betterave, un céleri?
De leur rencontre naît par exemple cette sculpture où ils
semblent s’embrasser, comme deux mâchoires tendues
l’une vers l’autre. A posteriori on peut y voir un hommage
à une sculpture de Maria Martins, la muse de Duchamp.
Mais ce n’est pas cela qui a engendré l’objet. Références
à l’art ou à la cuisine, tout est au même niveau pour moi.

Faut-il voir une autre allusion à l’art moderne avec cette
forêt de colonnes évoquant les totems de Brancusi?
Oui, l’allusion est très directe. Mais, pour moi, ce sont des
êtres plus que des sculptures. J’ai souvent l’impression qu’ils
vont s’animer, comme dans le film Une nuit au musée!
Propos recueillis par E. L.

u PARIS • CENTRE POMPIDOU JUSQU’AU 15 AVRIL


Entretien avec Erika Verzutti


«J’ai fait un podium un peu dingue


en forme de cygne»


Est-ce un jardin zen, pris d’une folie légère, ou un paysage digne
du Facteur Cheval et de l’architecte carioca Roberto Burle Marx?
L’exposition d’Erika Verzutti se déploie en tout cas comme une
parenthèse enchantée. Remarquée à la dernière biennale de Venise,
la sculptrice brésilienne y retrouve la conservatrice Christine Macel
pour sa toute première rétrospective en Europe.

Free download pdf