Beaux Arts - 04.2019

(Grace) #1

Beaux Arts I 69


trois  ponts de Santiago Calatrava. Mais impossible d’en
connaître le coût réel, comme si cela était obscène... À cette
question, au sujet du Musée national, Jean Nouvel sourit :
«Personnellement, je suis favorable au fait de communiquer
le coût de chacune de mes réalisations, mais mes comman-
ditaires me l’interdisent. Pourtant, une architecture est
parfois moins chère qu’une œuvre d’art, par exemple si l’on
compare avec le prix du Salvator Mundi de Vinci !» [vendu
382 millions d’euros aux enchères, en 2017.]


Une expérience immersive


Au Musée national du Qatar, il y aura toutefois peu
d’œuvres, l’institution étant avant tout dédiée à l’histoire
de l’émirat. Le parcours a été imaginé par Jean Nouvel
comme une installation immersive qui s’étend sur plus de
1,5 km, à travers 11 galeries et 3 sections : les origines, la vie
au Qatar et la construction de la nation. La complexité de
l’architecture, due à l’entrelacement des grands disques
incurvés extérieurs, ses intersections, ses éléments en
porte-à-faux, se retrouve à l’intérieur du musée. Définis-
sant ainsi des volumes improbables aux formes géomé-
triques, tous différents et jamais verticaux. Du sol au pla-
fond, ils sont aussi de couleur sable, renforçant le caractère
monochrome de l’extérieur. L’idée de génie de Nouvel est
d’avoir utilisé ces murs courbes qui dessinent des sortes de
grottes comme de très vastes espaces de projection happant
le visiteur. Sons et éclairages sophistiqués y rappellent le
procédé utilisé par l’Atelier des lumières, à Paris. Pour
chaque galerie, des commandes ont été passées à des


réalisateurs de renom, comme Jacques Perrin (auteur
notamment du film Océans). Ce dernier a filmé la nature
qatarie, des vols de faucons planant à 50 mètres d’altitude
à la vie aquatique dans les profondeurs de la mer du Golfe
persique. Abderrahmane Sissako, réalisateur du célèbre
Timbuktu, a tourné en noir & blanc le quotidien d’une
famille dans le désert. Quant au vidéaste Doug Aitken, il
a produit une installation à 360 degrés évoquant la beauté
du pétrole et son impact sur la vie des habitants. Au total,
une dizaine de films qui mettent en scène quelques objets
de l’histoire du Qatar, comme le fameux tapis de Baroda
réalisé en 1865 avec 1,5 million de perles, émeraudes,
diamants et saphirs!
Lors de notre visite du musée, l’ensemble des installa-
tions n’était pas achevé, mais les quelques galeries tout
comme l’architecture procuraient déjà un sentiment hyp-
notique. À l’issue de la visite du musée, le public est invité
à découvrir le palais restauré de Sheikh Abdullah bin
Jassim Al Thani (1880-1957), fils du fondateur du Qatar
moderne, aujourd’hui cerné par les roses de sable de Jean
Nouvel. Plusieurs sculptures monumentales ont aussi été
commandées spécialement pour cet ensemble patrimonial
et muséal, dont une gigantesque fontaine de perles noires,
longeant la corniche face à la mer, du Français Jean-Michel
Othoniel. Une fontaine qui rappelle celle imaginée par
l’artiste pour le bosquet du théâtre d’eau du château de
Versailles... en beaucoup plus monumentale. Rien d’éton-
nant, tant le Qatar veut faire de son émirat un véritable
Versailles du XXIe siècle. n
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