Beaux Arts - 04.2019

(Grace) #1

72 I Beaux Arts


EXPOSITION l ROUGE


El Lissitzky
Esquisse de costumes
pour Je veux un enfant
de Tretiakov, mise en scène
Meyerhold (spectacle
non réalisé)
Le théâtre est l’un des grands
terrains d’expérimentation
d’un art qui se veut total
et en prise directe avec la vie.
Artiste multiforme, peintre,
graphiste, architecte, designer,
El Lissitzky se lance avec
le metteur en scène Vsevolod
Meyerhold sur une pièce de
Sergueï Tretiakov, racontant
l’histoire d’une jeune militante
qui cherche le géniteur idéal.
Pour ce projet qui sera
finalement censuré, ils
imaginent faire participer
les auditeurs en direct
à la radio et étendre la scène
à toute la salle. Une
performance délirante!
1928, photomontage et aquarelle,
35 x 52,9 cm.

«Le carré est un enfant royal plein de vie. [...] Notre monde


de l’art est devenu nouveau, non figuratif, pur.»


Kazimir Malevitch, Du cubisme et du futurisme au suprématisme, 1916


U


n tableau rectangulaire, presque un carré,
couvert d’un pigment vermillon. Rien
d’autre. C’est par un monochrome rouge
sang que Rodtchenko annonce la fin de la
peinture et le début d’un nouvel art qui doit
participer pleinement à l’avènement de la société sovié-
tique. Pris dans le tourbillon de la révolution d’Octobre
1917, les artistes russes participent, avec plus ou moins de
défiance, au grand projet communiste, exaltés par les bou-
leversements en cours et de nombreux espoirs (bientôt
déçus). C’est à cette production singulière, qui accouchera
de l’esthétique dite du réalisme socialiste, que s’intéresse
le Grand Palais. «Il ne s’agit pas d’une exposition sur les
avant-gardes de cette période que l’on connaît déjà, ni
d’un panorama sur la création soviétique. L’idée est plutôt
de s’interroger sur la politisation des arts et en quoi
l’utopie communiste a engendré des formes de création
spécifiques qui, tout au long des années 1920, verront s’op-
poser différents groupes pour définir ce que doit être l’art
du socialisme», explique le commissaire de la manifesta-
tion Nicolas Liucci Goutnikov.
Dès 1918, les futuristes russes, avec un premier décret,
annoncent l’entreprise de démocratisation de l’art qui
doit se fondre dans la vie quotidienne et se mettre au ser-
vice de la Révolution tandis que le suprématiste Malevitch
propose d’explorer de nouvelles voies plastiques sans

renier pour autant le caractère sacré de l’art. Ils sont
coiffés au poteau par leurs amis constructivistes, emme-
nés par Rodtchenko, qui s’imposent sur le devant de la
scène avec leur «art de la production» en prise directe avec
le matériau et une réalité pratique. Exit la peinture, place
à des médiums plus susceptibles de réinventer l’espace à
vivre, le design, l’architecture, le graphisme, la photogra-
phie, l’imprimé, le théâtre et le cinéma. Assez vite, Lénine
et les bolchéviques reprochent au constructivisme son
caractère trop complexe, qui ne parle pas assez au peuple.
Ils lui préfèrent l’AKhRR (Association des artistes de la
Russie révolutionnaire) et son lot de peintures traditiona-
listes sans intérêt ni talent. D’autres artistes choisissent
eux aussi la peinture et la figuration, mais avec plus
d’inventivité : ceux de l’OST (Société des artistes de che-
valet), fondée en 1924 à Moscou, et du Cercle des artistes,
créé en 1926 à Leningrad. Leurs compositions, si elles
louent les bienfaits du régime, témoignent aussi de trou-
vailles plastiques originales, dans une course effrénée
pour savoir quel art, à l’arrivée, sera le plus prompt à incar-
ner les idéaux soviétiques. Staline met un coup d’arrêt à
la création en 1932 avec la dissolution de tous les groupes
au profit de l’Union des artistes, dont la plupart des diri-
geants provient de l’AKhRR. Déjà très fortes sous Lénine,
la censure, la propagande et la répression se durcissent
encore, annihilant tout élan créateur. n
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