Beaux Arts - 04.2019

(Grace) #1

Beaux Arts I 79


Les galeries ne seraient-elles pas trop dépendantes
d’un nombre restreint de collectionneurs?
G.-P. V. : C’est un fait avéré depuis des années, mais pas
forcément un signe de fragilité économique. La question
est plutôt de savoir à quel rythme se fait le renouvellement.
La dépendance s’installe lorsqu’on est lié, pendant toute
une carrière, à cinq collectionneurs qui sont susceptibles
de disparaître. En ce qui me concerne – et je pense que c’est
le sentiment de la plupart de mes confrères –, ce renouvel-
lement existe.
S. C. : Sur le fond, c’est plutôt sain. Ce sont ceux que les
galeristes appellent «le premier cercle». On devient collec-
tionneur d’une galerie à partir du moment où l’on y achète
des œuvres d’au moins deux artistes. C’est là qu’on entre
vraiment en résonance avec sa programmation.


Revenons à la scène française. Il y a quinze
ou vingt ans, on disait : «Les artistes allemands et
britanniques sont partout et les Français nulle part.»
N’y a-t-il pas eu, malgré tout, un rééquilibrage?
G.-P. V. : L’histoire se répète. Dans les années 1980-1990, la
Figuration libre était très présente à l’étranger. Leo Castelli
montrait Robert Combas, Hervé Di Rosa... Cette pénétra-
tion a toujours existé, mais je n’ai pas l’impres sion qu’elle
s’amplifie. Bien sûr, Camille Henrot, Tatiana Trouvé,
Cyprien Gaillard ou Laure Prouvost ont trouvé une place
dans le concert international. Mais est-ce que cela signifie
que la France existe davantage? J’en doute. Je retiens un
indicateur objectif : les expositions d’artistes français dans
les grandes institutions ne trouvent aucune itinérance et il
est difficile de les exporter.
S. C. : On parle de scène française, mais les artistes font
souvent des carrières très individuelles et construites, en
grande partie, contre le milieu français. Ceux, cités, aux-
quels on posait la question, dans les années 1980-1990,
«Quels autres artistes y a-t-il en France ?» répondaient tou-
jours «Personne». Cela n’a permis ni la carrière de galeristes
ni celle de commissaires, contrairement à l’Allemagne ou
à l’Angleterre. Ayant eu moi-même une galerie, je n’ai pu
organiser que les toutes premières expositions, à Paris, des
douze artistes que je représentais. Trois ou quatre ont fait


une brillante carrière à l’international, comme Jean-Luc
Mylayne ou Ghada Amer, mais quand j’ai fermé, plus aucun
n’avait de galerie en France ni en Europe. Pour eux, c’était
même une nécessité de couper avec le milieu français, qui
reste entaché de suspicion dans la carrière d’un artiste.

Comme me le disait un conservateur français,
les Français sont-ils moins bons que les autres?
S. C. : J’ai écrit voilà dix ans qu’«un bon artiste français
est un artiste mort !» Et c’est encore le cas aujourd’hui avec
Martin Barré, disparu en 1993, qui aura enfin les honneurs
du Centre Pompidou mais n’a bénéficié, de son vivant,
que de deux expositions en institution publique. Quelle
réactivité! Tout cela n’est qu’une question de choix. En
France, il existe également un problème de ressources
humaines. Les deux conservatrices qui ont dirigé les plus
grandes manifestations mondiales (la biennale de Venise
pour Christine Macel et la Documenta de Kassel pour
Catherine David) ne sont pas à la tête d’un musée. C’est
très significatif.

Les dirigeants d’institutions seraient donc déficients?
S. C. : Ceux qui président les plus grandes institutions
artistiques dans ce pays ne le doivent pas à la pertinence
de leurs choix ni de leurs résultats! Je ne peux pas le dire
plus clairement. On pouvait hier, et on peut aujourd’hui,
diriger le plus grand musée de France et n’avoir jamais
réalisé une exposition significative à l’étranger!
G.-P. V. : Sans culpabiliser les uns ou les autres, avant
d’expor ter des artistes, il faudrait les montrer. Il est atter-
rant de constater que nous avons tous ce maître mot à la
bouche : «Émergence». Or, en favorisant à outrance cette
émergence, on crée une forme d’«immergence», ce qui
corrobore ce que dit Stéphane Corréard. Certains artistes
ont été montrés jeunes, puis ont été oubliés quand ils sont
arrivés à maturité parce qu’ils n’ont pas été soutenus dans
leur intégration au marché. Il faudrait insuffler une volonté
politique forte de travailler tous ensemble, galeries, insti-
tutions, responsables du ministère de la Culture, syndicats
d’artistes... Pour l’instant, elle n’existe pas.

Faudrait-il alors arrêter de «saupoudrer»
pour se concentrer sur quelques locomotives?
S. C. : Je n’en suis pas persuadé. Des artistes français impor-
tants n’ont aucune présence forte sur le marché et Sophie
Calle ou Xavier Veilhan ne pèsent strictement rien sur le
marché des ventes aux enchères. On recrute de nouvelles

«Ceux qui président


les plus grandes institutions


artistiques dans ce pays


ne le doivent pas à la


pertinence de leurs choix


ni de leurs résultats !»


Stéphane Corréard


QQQ

Free download pdf