Beaux Arts - 04.2019

(Grace) #1

Beaux Arts I 81


évoqué. Et, comme cela ne doit décourager personne, il ne
pourrait s’agir que d’une toute petite part du bénéfice, pour
ne pas mettre en danger l’activité des uns et des autres.
Cette taxe serait affectée non pas à une institution, mais à
un fonds de dotation indépendant.


Nous connaissons tous l’explosion du nombre
de foires et, en parallèle, la diminution considérable
du nombre de visiteurs dans les galeries.
Quel est votre avis sur cet état de fait?
S. C. : Je dis aux galeristes, sous forme de boutade :
«Pourquoi y a-t-il encore des gens dans les galeries ?» Il y
a quarante ans,
visiter les gale-
ries était le seul
moyen de s’en-
quérir sur l’art
contemporain.
Aujourd’hui, à
tort ou à raison,
on peut s’infor-
mer ailleurs, à
commencer par
Internet. Alors
pourquoi le
public conti-
nue-t-il à fré-
quenter les
galeries? Parce qu’il recherche le contact humain. Mais
c’est aussi l’histoire de la poule et de l’œuf : les foires ont
pour effet de vider les espaces de leurs galeristes, occupés
ailleurs... Or, le système pervers des foires est qu’il impose
un modèle. Dans le monde du vin, on appellerait cela des
«dégustations marathon»... Même Robert Parker, grand
dégustateur souvent critiqué, déclare qu’après avoir goûté
50 vins différents on ne sait plus si l’on boit de la bière ou
du Mouton Rothschild. Je cite souvent cette phrase cruelle,
mais drôle, du collectionneur Antoine de Galbert :
«Aujourd’hui, pour un collectionneur, la semaine de la
Fiac est devenue comme la fête de la musique pour le mélo-
mane : une torture.»
G.-P. V. : Les galeries sont des acteurs culturels, et pas seu-
lement commerciaux. Encore faut-il qu’elles fassent un tra-
vail sur elles, car l’accueil n’est pas toujours à la hauteur. La
profession doit aussi se prendre en main. Je lis, depuis une
vingtaine d’années, que le système des galeries est dépassé,
que la relation à l’art peut se faire de façon virtuelle, que
l’espace n’a plus une grande importance... Pourtant, des
plus moyennes aux plus importantes, elles ne pensent qu’à
se développer et à ouvrir des espaces dans plusieurs pays.


Quelle est la plus-value réelle d’une foire?
Au risque d’une uniformisation esthétique,
les galeries vendent-elles davantage dans
les foires que dans leurs propres espaces?
G.-P. V. : Les foires ont créé leur propre virtualité. Aucun
professionnel ne vous dira «Ma foire a été un échec !» parce
que cela remettrait en question la qualité de son travail et
non pas celle de la foire. La participation constitue un label :
on joue en première, deuxième ou troisième division, ce
qui est scandaleux, car d’excellentes galeries n’y sont plus.


La réalité des ventes est souvent plus nuancée et certaines
enseignes ne couvrent même pas leurs frais. Structurelle-
ment, la foire est un accélérateur de temps. En six jours, on
reçoit plus de visiteurs qu’en cinq ans dans une galerie.
À l’inverse d’un lieu de discussion, il n’y est question que
de rapidité et d’efficacité. Mais ce que je déplore le plus,
c’est que le choix des galeristes n’y est plus souverain. La
plupart des foires imposent ou rejettent leur sélection artis-
tique. Elles se sont arrogé ce droit.
S. C. : D’autant que ce traitement est réservé à la frange la
plus fragile des galeries et que ce système va à l’encontre
du temps long, le seul qui vaille dans l’art. Un exemple :
Jean Brolly, un ancien collectionneur devenu galeriste à sa
retraite, a toujours eu un très bon œil et a défendu des
artistes très tôt. Quand il avait présenté, à la Fiac, un
projet de Steven Parrino, peintre abstrait new-yorkais
rock’n’roll, tout le milieu de l’art l’avait trouvé ringard et il
s’était fait éconduire. Steven Parrino est mort peu après. Sa
représentation a été reprise par Gagosian, revenu en
majesté montrer l’artiste à la Fiac... Les exemples de ce type
sont légion. La standardisation vient aussi de cette offre
démesurément pléthorique. Lorsqu’on voit 4 000 œuvres
en quatre heures, on ne retient que les plus spectaculaires
dans les stands les mieux placés. Tout est fait pour qu’il y
ait le moins de rapport au monde réel, pour qu’on passe
d’une galerie à l’autre sans s’en rendre compte : même
moquette, mêmes murs, même éclairage... mêmes œuvres.

Interrogez Emmanuel Perrotin sur l’ouverture
d’un espace à Shanghai alors qu’il en a
déjà un à Hong Kong... Sa réponse est claire :
parce que Shanghai n’est pas Hong Kong.
Pensez-vous que, pour chaque marché,
il faut développer des relations spécifiques
avec les collectionneurs?
G.-P. V. : Dans les années 1970-1980, les grandes galeries
américaines octroyaient des exclusivités à leurs consœurs
européennes. Puis elles se sont mises à ouvrir leurs propres
espaces en Europe pour éviter de payer des commissions.
Plus vous disposez d’espaces d’expositions, plus vous dis-
posez des œuvres des artistes que vous représentez par
rapport à vos concurrents. L’adapta-
tion du métier de galeriste a souvent
été liée à sa rentabilité.
S. C. : Cela confirme l’idée qu’une
galerie reste un commerce de proxi-
mité, au sein duquel les visiteurs
peuvent vivre une expérience unique.
Dans un monde de «surinforma-
tion», elle doit continuer à apporter
sa spécificité, celle du galeriste qui
entretient et partage un regard
singulier, à l’exemple de Georges-
Philippe Vallois qui va des surréa-
listes jusqu’à Gilles Barbier, en pas-
sant par Tomi Ungerer ou de très
jeunes artistes. Pour les collection-
neurs, c’est irremplaçable : ils peuvent
faire confiance, adhérer à ce regard
particulier et développer leur collec-
tion dans le sillage de la galerie. n

CHIFFRES

QUELQUES

10 %


100 000 €


300 350à
Nombre de galeries en France

Nombre de galeries en régions

Chiffre d’affaires moyen
d’une galerie
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