Beaux Arts - 04.2019

(Grace) #1

Beaux Arts I 97


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En avril 1941 a lieu l’inventaire des biens confisqués à la galerie Wildenstein, à Paris. Plus de 500 de ses tableaux sont saisis.
Pourtant, en 1946, les services américains font figurer ce nom dans une liste de marchands suspects de collaboration
avec les Allemands. Jusqu’aux années 2000, différents procès dévoilent le rôle trouble de la famille pendant la guerre.


grandi. Il y a un vrai travail dépassionné à faire : personne aujourd’hui
n’est responsable de ce qui s’est passé pendant la guerre.»
Pour cette chercheuse indépendante ayant travaillé deux ans au
sein de la taskforce chargée d’explorer la stupéfiante collection Gurlitt,
restée cachée jusqu’en 2012, «le chemin n’a pas été pavé de roses, et
l’accès aux archives n’allait pas de soi. Les Archives nationales m’ont
beaucoup aidée. J’ai également trouvé des documents à la préfecture
de police, ainsi qu’au Getty Center de Los  Angeles. Mais les ports
francs et la Suisse font partie de nos gros problèmes concernant ce
domaine». Pillages et spoliations, enchères plus ou moins honnêtes,
négoces en galerie, elle a tout disséqué pour dresser un panorama,
qui fait froid dans le dos, de ce marché pris de frénésie dans une
France vivant, pour reprendre les mots de Roland Barthes, «un cau-
chemar sinistre et glacé».
Elle décrit les mécanismes à l’œuvre : «Un afflux de marchandises,
dont une partie pouvait être issue des spoliations ou autres pillages
artistiques (...) ; un changement de clientèle, les collectionneurs pro-
vinciaux et internationaux tout comme la clientèle juive désertant le

marché en zone occupée, bientôt remplacés par les nantis de l’Occu-
pation ; une abondance de capitaux, puisqu’à partir du
17 décembre 1941 la communauté juive de la zone occupée se voyait
infliger une amende d’un milliard de francs, en représailles d’atten-
tats perpétrés contre l’occupant»
Dans les galeries, les affaires abondent. Dans les galeries «aryennes»
ou «aryanisées», du moins. Car dès la promulgation des infâmes lois
antisémites, promulguées par l’occupant et sur lesquelles surenché-
rit le régime de Vichy, tous les grands marchands juifs se voient
contraints d’abandonner leur commerce. Déchu de la nationalité
française, Paul Rosenberg trouve refuge aux États-Unis, mais son
incroyable collection connaîtra de nombreux outrages, alors que son
hôtel particulier du 21, rue de La Boétie deviendra le siège de l’Insti-
tut d’études des questions juives. «Galeriste de combat», comme il se
définissait, Pierre Loeb s’exile à Cuba. À son retour, en 1945, il ne doit
qu’à l’intervention de Picasso de récupérer les clés de sa galerie, inves-
tie par le marchand Georges Aubry, enrichi par son commerce avec
les musées allemands. Quant à leur confrère René Gimpel, il paya de
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