Beaux Arts - 04.2019

(Grace) #1

Beaux Arts I 99


Une vente aux enchères à la galerie Charpentier,
à Paris, en juin 1944. Ses vernissages étaient parmi
les plus courus de l’Occupation, où se croisaient
dignitaires nazis et artistes, notamment Van Dongen,
qui fit le voyage en 1941 en Allemagne avec Derain.


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l’ambassadeur Otto Abetz, Hermann Göring met en place un système
dont il espère bien qu’il alimentera sa propre collection : le Reichs-
marschall est, hélas, lui aussi féroce amateur d’art (à la fin de la guerre,
il possédera 1 376 tableaux). Il charge de cette mission, qu’il s’obstinera
à poursuivre jusqu’à ses derniers instants, l’ERR, l’Einsatzstab Reichs-
leiter Rosenberg. Soit l’état-major des services du Reichsleiter Alfred
Rosenberg, idéologue du régime diligenté pour «mettre en sécurité
les objets qui lui semblent précieux». Sa tâche s’avérera bien plus
immonde. Dès octobre 1940, l’ERR déniche les collections Jacobson,
Reichenach ou Rouff, qui avaient cru les protéger en les cachant à
Chambord, puis 130 caisses de la collection David-Weill. Des fiches
circonstanciées sont établies à chaque arrivage. «Une opération de
recensement et de saisie artistique unique en ce genre dans l’histoire»,
sera-t-il relevé après guerre au procès de Nuremberg.
Au début de l’hiver 1940, le Jeu de paume est choisi comme le lieu
de ce recel d’ampleur inédite. Tous les Modigliani, Picasso, Chagall et
autres artistes «dégénérés» de sa collection ont été évacués. Ils sont
peu à peu remplacés par des artistes dont l’esthétique ravit Hitler et
ses acolytes. À savoir les écoles allemandes et hollandaises. Les plus
recherchés? Vermeer, Rembrandt, Cranach, Van Dyck, Frans Hals.
Principal critère de beauté? Le réalisme. À l’inverse, tous les artistes

d’avant-garde sont destinés au pilori. Les collections juives pillées en
sont pourtant riches. Au Jeu de paume, la salle des martyrs est donc
destinée à recueillir les œuvres méprisées de Hans Arp, Braque, Cha-
gall, Ernst, Matisse, Masson, Tanguy ou Vallotton arrachés aux mains
de Paul Rosenberg, d’Alphonse Kann ou de Georges Bernheim.
Un autodafé a-t-il été réalisé en juillet 1943, derrière le musée des
Tuileries? Dans ses précieuses notes, où elle notait tous les déplace-
ments d’œuvres, la résistante Rose Valland rapporte que cinq ou

Toutes les richesses des maisons


Seligmann, Jansen, Lazare


Wildenstein, et de dizaines


d’autres, sont répertoriées,


sous l’égide d’un commissaire


de police parisien.

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