Beaux Arts - 05.2019

(Steven Felgate) #1

114 I Beaux Arts


MUSÉES l EXPOSITIONS


u IVRY-SUR-SEINE • CRÉDAC JUSQU’AU 30 JUIN


Un film et des œuvres


comme un roman de Duras


À


Hanoï, 24 heures de la vie
d’une femme. Une journée,
une révolution. Thu-Van Tran
revient tout juste du Vietnam, où
elle est née en 1979, avant d’arriver
en France à l’âge de deux ans. Elle livre
son récit au Crédac d’Ivry-sur-Seine,
à travers ces mots qu’elle manie
avec tant de poésie, et ces images
qu’elle travaille en oxymores, objets
si tendus qu’ils en crèvent parfois,
au sens propre. 24 heures à Hanoï,
c’est un film, d’abord. «L’errance
d’une femme dans une ville méconnue,
le temps d’un cycle terrestre,
une rotation, dévoile-t-elle. Cette
révolution complète va permettre une succession
de révélations auxquelles Hoa Mi répondra par
le mutisme : le silence de la contemplation, celui aussi
de l’étrangère. Innocente, bienveillante, elle est
une sorte de Candide perdue, à ceci près qu’elle
revient sur les traces d’une histoire familiale gardée
souterraine. Hoa Mi le rossignol.» Comme elle
le fait depuis ses débuts, à travers fresques, films

ou sculptures, la plasticienne cherche à greffer
le présent sur le passé, et vice versa. «D’un pays
aujourd’hui figé dans les paradoxes» de son histoire,
elle revient avec ses doutes, les fantômes de son exil,
et l’œuvre d’art pour les incarner. Un récit initiatique,
donc, véhiculé aussi par une étrange cohorte
de 82 tortues de cire. Elles lui ont été inspirées par
les 82 gardiennes du Temple de la littérature à Hanoï.
«Ces tortues sages et savantes conservent le savoir
et les formules de notre passé, celui du Vietnam,
explicite-t-elle. Chacune d’elles porte une stèle gravée
en ancien vietnamien, langue que plus personne
ne parle ni ne lit depuis la latinisation de notre
alphabet par les jésuites arrivés au XVIIe siècle.
Le jour où je les ai rencontrées, j’ai imaginé qu’elles
s’adressaient à moi, l’une après l’autre.» Le haïku
en guise de carapace, et l’art comme catharsis,
pour cautériser les plaies de tous les colonialismes.
Car cette grande amoureuse de Marguerite Duras,
nommée pour le dernier prix Duchamp, est portée
par un même désir, de projet en projet : «Chercher
dans certains faits historiques la forme d’une
relecture possible par l’expérience esthétique,
confisquer la violence de l’histoire.» E. L.

Thu-Van Tran
Peau blanche,
2017

«Thu-Van Tran
24 heures à Hanoï»
Manufacture des Œillets
1, place Pierre Gosnat
94200 • 01 49 60 25 06
http://www.credac.fr
✶ Hors-série
Beaux Arts Éditions

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