Beaux Arts - 05.2019

(Steven Felgate) #1

124 I Beaux Arts


MUSÉES l EXPOSITIONS


Cette carte blanche de la Collection Lambert
propose un parcours où l’humour le mêle au sacrilège.
Comment l’avez-vous conçu?
C’est un triple dialogue, entre moi et l’antique, moi et
Twombly, moi et la France. C’est pourquoi il s’ouvre sur le
personnage d’Hadrien, mythe italien consacré dans l’histoire
de la littérature par Marguerite Yourcenar, qui est l’une
des plus grandes plumes du XXe siècle. Ses Mémoires
d’Hadrien ont été pour mon éducation un livre fondamental.
Un peu de moi, un peu de Twombly, un peu d’histoire,
la mécanique se répète dans chaque salle.

Les abstractions de Twombly semblent pourtant
à mille lieues de votre esthétique plutôt glamour?
Pour moi, le moment où Twombly expose à New York
ses digressions sur l’empereur Commode est l’un des plus
émouvants de l’histoire de l’art moderne. Dan Flavin
et Donald Judd ne peuvent supporter cette exposition
consacrée à un chef romain, à une époque où tout art
se doit d’être minimaliste et très politique. À leurs yeux,
Twombly incarnait la décadence totale : tout ce que j’aime!

«Francesco Vezzoli – Le Lacrime dei Poeti»
5, rue Violette • 84000 • 04 90 16 56 20
http://www.collectionlambert.fr

Vous vous êtes amusé à «maquiller» nombre
de sculptures romaines pour cette exposition : un pied
de marbre aux ongles vernis, un sexe de pierre orné
d’un harnais de cuir, une Victoire au visage doré...
Ce sont des fac-similés, bien sûr?
Pas du tout, ce sont de vraies sculptures antiques, que j’ai
achetées aux enchères. J’essaie de leur redonner vie. Ce projet
aurait été impossible en Italie! Nous avons travaillé sous
la supervision de la New York University pour retrouver
les couleurs les plus vraisemblables par rapport aux originaux.
Le résultat peut sembler blasphématoire, mais je préfère
la vie à l’art. Et toutes nos interventions sont réversibles.

Au-delà d’un retour à l’original peint, certaines sculptures
font l’objet d’interventions pour le moins radicales...
Oui, comme cette Vénus de Willendorf dont je propose
une version XXL, en bronze, sur laquelle je pose une
tête du Ier siècle, ou ce visage romain clownesque grimé
en Joan Crawford : dans ces cas-là, j’avoue, le degré
de manipulation est très violent, et l’on dépasse les limites.
Mais cela reste de l’ordre de l’expérience, et je ne voulais
pas devenir le peintre de sculptures antiques.
Propos recueillis par E. L.

u AVIGNON • COLLECTION LAMBERT JUSQU’AU 10 JUIN


Entretien avec Francesco Vezzoli


«Cy Twombly incarnait la décadence totale :


tout ce que j’aime !»


Entre des projets fous pour la fondation Prada et son émission
de décryptage de l’actualité sur la Rai, Francesco Vezzoli déjoue
toutes les catégories. Invité par la Collection Lambert en Avignon,
le plasticien italien met en scène un hommage détonnant
à l’Américain Cy Twombly (1928-2011), en proposant une digression
autour de son amour pour l’antique.


AU MUR
Cy Twombly
Nimphidia et Lycian
Drawing, 1982
AU CENTRE
Francesco Vezzoli
Antique not Antique :
Self-Portrait
as a Crying Roman
Togatus, 2012
À DROITE
Francesco Vezzoli
True Colors, 2014
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