Beaux Arts - 05.2019

(Steven Felgate) #1

32 I Beaux Arts


CINÉMA Par Jacques Morice


H


agarde, elle marche sur des rails, sort d’un tunnel, monte sur le quai
du métro où elle soulève sa jupe, baisse ses collants et sa culotte et se met
à uriner devant tout le monde. Ce fantôme en talons hauts et trench,
qui semble revenir d’outre-tombe, est un élément perturbateur de l’ordre moral,
social et familial. C’est Kinga, une femme frappée d’amnésie, victime, plus
précisément, d’une «fugue dissociative». Au bout de deux ans, après un passage
à la télévision, elle retrouve ses parents, son mari, son fils. L’accueil n’est guère
chaleureux, comme s’il fallait tout taire. Elle ne reconnaît personne mais s’en
moque un peu. La grande maison chic et épurée à la lisière du bois, son mari
strict, son bambin un brin agaçant, elle regarde tout cela avec une pointe
d’insolence, en se désolant presque de renouer avec une vie si normative.

Famille, je vous ai oubliée
De manière aussi distanciée qu’élégante, Fugue nous entraîne dans une sorte
de thriller fantasmagorique, entre rêve et réalité. Une pérégrination initiatique,
qui interroge finement la pression sociale et tout ce qui traduit une forme
d’échappatoire (folie, dépression). Après l’indifférence du début, l’héroïne
(formidable Gabriela Muskała, qui a écrit aussi le scénario) change d’attitude,
reconstruit du lien, non sans risque. L’originalité de ce film résolument féministe,
signé par une réalisatrice polonaise, tient beaucoup à sa liberté tant formelle
que narrative, à ses digressions, à sa fin ouverte. À l’image de cette belle et
sensuelle séquence de danse proche de la parade, sur une chanson ensorcelante
de Michelle Gurevich (Lovers are Strangers), où le mari et la femme, étrangers
l’un à l’autre, se frôlent, réapprennent à se connaître, renaissent peut-être à la vie.

En avoir envie (ou pas)


Une femme amnésique doit apprendre à redevenir mère,
fille et épouse. La Polonaise Agnieszka Smoczyńska signe un
étonnant manifeste féministe en forme de thriller sentimental.

Fugue d’Agnieszka Smoczyńska > en salles le 8 mai

AUTRE FILM À L’AFFICHE
Les histoires d’amitié finissent mal
Après son très délicat Silent Voice, autour
d’une jeune fille sourde et muette harcelée
à l’école, voici que la réalisatrice japonaise
Naoko Yamada s’attache à raconter l’amitié
amoureuse entre deux lycéennes musiciennes,
l’une extravertie, l’autre timorée. Du cinéma
d’animation subtil, qui fait la part belle
à la psychologie autant qu’à l’imaginaire.
Liz & l’Oiseau bleu de Naoko Yamada
> en salles depuis le 17 avril

EXPOSITION
Fellini, innamorato di Picasso
Le monde forain, les femmes, les mythes
antiques, la danse. Il y a des liens évidents entre
Picasso et Fellini, le premier ayant fortement
marqué le second, de manière consciente
ou sous forme de rêves. L’exposition les explore,
en proposant affiches, photographies, dessins
de l’auteur de la Dolce Vita, mais aussi
des documents montrant l’intérêt du peintre
pour le cinéma.
«Quand Fellini rêvait de Picasso»
jusqu’au 28 juillet • Cinémathèque française
51, rue de Bercy • 75012 Paris • 01 71 19 33 33
http://www.cinematheque.fr
Rétrospective de ses films jusqu’au 27 mai

VIDÉO À LA DEMANDE
Avis aux cinéphiles fous de peinture
Créée en 2005 à l’initiative de Pascale Ferran,
Laurent Cantet et Cédric Klapisch, LaCinetek
est une plateforme originale de streaming
et de vidéos à la demande, qui regroupe les
films fétiches de 65 cinéastes du monde
entier! Depuis février, dix chefs-d’œuvre sont
proposés chaque mois autour d’un thème.
Le 10 mai, place à l’art! Parmi la sélection :
l’Hypothèse du tableau volé (Raúl Ruiz, 1979),
Van Gogh (Maurice Pialat, 1991), la Belle
Noiseuse (Jacques Rivette, 1991)...
LaCinetek http://www.lacinetek.com

Fantastique Gabriela Muskała, contrainte d’aimer son mari (Łukasz Simlat), ce parfait inconnu.

Federico, grand rêveur de Pablo.
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