Beaux Arts - 05.2019

(Steven Felgate) #1

50 I Beaux Arts


EN COUVERTURE l MONUMENTAL


ses souverains commanditaires – chacun d’eux passant son
règne à faire ériger un ensemble architectural plus impres-
sionnant encore que celui de son prédécesseur.
À l’autre bout de la planète, pendant ce temps, les cathé-
drales jouent ce même rôle dans les principales villes d’Eu-
rope. Motivées par l’orgueil des évêques et des nouvelles
élites urbaines soucieuses de leur salut, destinées à être
vues par tous, elles se font de plus en plus fastueuses, évo-
luant en hauteur à chaque nouvelle phase du gothique,
dans un contexte d’émulation artistique réunissant tous
les créateurs (architectes, sculpteurs, maîtres verriers,
peintres) pour l’élaboration d’un art quasi total.
Car si elle est au service des puissants, cette forme de
création permet aussi aux artistes de se surpasser, d’expri-
mer leur audace, de provoquer des ruptures. Le génial
Michel-Ange en est l’un des exemples probants. Ses
fresques peintes pour la chapelle Sixtine entre 1508 et 1512,
à couteaux tirés avec ses concurrents du Vatican (le redou-
table architecte Bramante et le séduisant Raphaël), pour
satisfaire les folies du pape Jules II, portent l’art pictural à
des sommets jamais atteints jusque-là... À Versailles aussi,
les artistes rivalisent d’imagination pour satisfaire les
appétences des rois et chanter les louanges de leur poli-
tique autoritaire et de leurs conquêtes militaires. Sculp-
tures dorées, lambris de marbre, galerie des glaces brillant
de mille feux et décors raffinés peints par Charles Le Brun,
sont tout entiers consacrés à magnifier le pouvoir royal.
Rien ne fut trop beau pour les puissants de la Renais-
sance et du Grand Siècle. La Révolution française allait,

évidemment, marquer une rupture radicale. Désormais,
l’art monumental se met au service des idéaux de la Répu-
blique et de ses héros, personnages historiques ou ano-
nymes. Les imposants formats de Géricault, le Radeau de
la Méduse (plus de 7 mètres de long), et Delacroix, la Liberté
guidant le peuple, marquent les esprits tout comme la
sculpture de François Rude, la Marseillaise (ou le Départ
des volontaires de 1792). Dans le monde entier désormais,
le monumental accompagne les luttes sociales et régimes
émergents. À Mexico, les fresques déployées dans toute la
ville par Diego Rivera marquent les débuts du muralisme,
ce grand mouvement né au lendemain de la révolution
mexicaine, pendant qu’en Union soviétique les premiers
groupes sculptés célèbrent le rêve communiste. Durant la
décennie suivante, c’est le géant Pablo Picasso qui frappe
fort avec Guernica, toile de 7,80 mètres sur 3,50 mètres.
Réalisé dans la foulée du bombardement de la ville basque
le 26 avril 1937, le tableau résume en une image l’horreur
absolue des conflits armés.

À l’assaut du ciel et de la terre
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le phéno-
mène ne fait que croître et l’art prend des proportions
encore plus colossales. Les tableaux sortent des limites du
cadre, les sculptures tombent du socle pour se répandre
partout dans l’espace d’exposition, aux pieds et au-dessus
de la tête du spectateur. C’est qu’il accompagne une quête,
une conquête de l’espace. On voit plus grand, plus loin. À
partir du milieu des années 1950, en France, en Europe, de

CI-DESSUS
Robert
Smithson
Spiral Jetty
Si le lac s’assèche,
la spirale de
pierres est
émergée, mais,
c’est assez rare,
c a r l’œ uv r e
e st d’ab ord
une créature
sous-marine.
1970, Grand Lac Salé,
Utah, roche noire,
terre, cristaux de sel,
457 x 4,5 m.


CI-DESSUS
À DROITE
Walter De Maria
The Lightning
Field
Attirer sur soi la
puissance des
cieux et de la
foudre, c’est voler
le feu sacré et
faire du ciel
nocturne son
espace infini
d’exposition.
1977, Nouveau-
Mexique, 400 poteaux
en acier inoxydable
1 000 x 1 600 m. QQQ


Après guerre, le spectateur accompagne une quête,


une conquête de l’espace. On voit plus grand, plus loin.

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