Beaux Arts - 05.2019

(Steven Felgate) #1

52 I Beaux Arts


EN COUVERTURE l MONUMENTAL


nouveaux paysages émergent. Les communes se donnent
de l’air et quittent l’étroitesse de leur hypercentre. C’est à
cette époque que pousse le premier bâtiment (le Cnit) à La
Défense. Les villes nouvelles, elles, ne vont pas tarder à sor-
tir de terre. L’essor fulgurant de l’industrie porté par une
exploitation intensive des matières premières (charbon,
pétrole, électricité nucléaire) démultiplie la taille des
infrastructures et accélère la circulation des biens et des
personnes. Le Concorde puis le TGV sans parler des auto-
routes tracent leur voie supersonique et dévorent l’espace.
C’est dans ce wagon-là, celui de la modernité boulimique
d’espace, que l’art monte, toutes brides abattues. La pein-
ture prend pour support de gigantesques bâches indus-
trielles (Supports/Surfaces) tandis que la sculpture adopte

la forme d’empilements infinis d’objets concassés (Arman)
ou d’amoncellements chaotiques de pans métalliques.
À l’image du Cyclop, obstinément nourri par Jean Tinguely
et sa bande (Niki de Saint Phalle, César...) pendant près
d’un quart de siècle, à Milly-la-Forêt. Cette œuvre-vie,
œuvre-friche à la croissance débridée et incontrôlée,
révèle bien comment la monumentalité d’une pièce tient
d’abord à l’appétit insatiable de son ou ses créateurs.
Sisyphe modernes, ceux-là savent qu’on n’achève pas une
œuvre. On l’abandonne.
Et c’est ce dont les Américains se sont convaincus,
quand, dans les années 1970, ils décidèrent de prendre la
clé des champs et de faire œuvre dans et avec la nature sau-
vage. Le land art, art à ciel ouvert, art sans limite de temps
ni d’espace. La Spiral Jetty de Robert Smithson [ill. p. 50],
immense serpentin de blocs de pierre successivement
immergé et émergé au gré du flux et du reflux des eaux du
Grand Lac Salé, l’installation de Walter De Maria, The Light-
ning Field [ill. p. 50], champ de pics métalliques s’attirant
la foudre, ou encore le Volcan de James Turrell, cavité creu-
sée en plein cœur de l’Arizona, sans parler des processions
pyrotechniques du Chinois Cai Guo-Qiang, toutes veulent
épouser les contours incommensurables de la nature et du
temps. Œuvres spectaculaires, œuvres prométhéennes,
œuvres que l’œil humain ne peut embrasser d’un seul
tenant, le monumental est aussi une manière d’excès
optique. L’œuvre ne rentre pas tout entière dans le champ
de vision. Elle incite à voir plus large, plus loin, jusqu’au

Œuvres spectaculaires, œuvres


prométhéennes, œuvres que l’œil


humain ne peut embrasser d’un seul


tenant, le monumental est aussi


une manière d’excès optique.


Ron Mueck
Mass
Avec ses
sculptures
hyperréalistes
gigantesques,
l’Australien saisit
souvent la
petitesse de l’être
humain devant
les affres de la vie,
ou comme ici,
avec ce charnier,
les horreurs de
la guerre.
2016-2017, peinture
polymère synthétique
sur fibre de verre,
5,5 x 14,8 x 50,8 m.


QQQ

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