Beaux Arts - 05.2019

(Steven Felgate) #1

56 I Beaux Arts


le cycle d’expositions monographiques «Monumenta») et
tant d’autres, ont besoin de ces pièces mastodontes pour
créer l’événement, attirer les foules et les médias. C’est
l’époque et les stratégies de communication qui l’exigent.
Size does matter.
L’art s’adapte au volume de son audience : fini les minia-
tures, les camées, les petites pièces particulières, les œuvres
pour un seul (homme riche veillant jalousement dans un
salon privé et confiné sur ses trésors privés), il est censé
s’adresser à tous. À tous, en même temps – fût-ce pour un
bref moment. L’art sera donc monumental et éphémère :
c’est la nouvelle botte secrète qui permet de répondre à
cette demande insatiable d’émois et de merveilles.

Marcher dans, sur et sous l’art
Christo & Jeanne-Claude furent prompts à comprendre
l’enjeu en allant même un cran au-dessus du format gigan-
tesque : les monuments, le duo les emballe, les enveloppe,
les étouffe et les sublime. À commencer par le Pont-Neuf,
puis le Reichstag, drapé d’un immense manteau en tissu
synthétique argenté, serré par des cordes bleu azur, deux
semaines durant – le projet nécessita 90 alpinistes profes-
sionnels et 120 ouvriers pour l’installation des 100 000 m^2
de tissu et 15 600 mètres de corde.
Il y a trois ans, Christo déroula un tapis orange sur le lac
d’Iseo, en Italie, conviant le public à marcher sur l’eau et
sur l’art. Il s’apprête en 2020 à emballer l’Arc de Triomphe
[lire p. 14]. S’adresser au plus grand nombre, voir grand et
frapper fort, ne va pourtant pas sans risque ni accident :

Paul McCarthy, érigeant place Vendôme, face à la colonne
du même nom, un pic, un sapin, un objet gonflable vert et
ambigu, n’a pas été compris ni supporté. Dégonflée, sa
sculpture qui se gaussait de toutes les érections virilement
plantées dans l’espace public a fait long feu. Gare : mettre
une œuvre monumentale dans l’espace public, ça ne va
plus de soi. Jeff Koons attend encore de voir son bouquet
de tulipes fleurir sur une place parisienne... En revanche,
le mois dernier, JR a révélé en majesté les bas-fonds du
Louvre. L’œuvre, pile dans ce que l’activiste urbain a tou-
jours fait (mettre en valeur et en grand des zones et des
populations qu’on accule à des coins sombres et à l’invisi-
bilité), n’était véritablement visible qu’à travers les traces
photographiques ou télévisuelles qui en furent captées.
Voilà, à dire vrai, le génie de JR : l’œuvre monumentale
aujourd’hui l’est, certes, par sa taille (les abords de la pyra-
mide du Louvre remplissent le cahier des charges) mais
surtout par son aura médiatique, sa photogénie et, oserait-
on dire, son nombre de vues sur les réseaux sociaux. Le
gigantisme des œuvres impliquait qu’elles soient large-
ment visibles et puis qu’elles portent des valeurs largement
partagées. On y est avec JR, sauf que l’artiste opte pour des
monuments de papier photo imprimés en noir et blanc.
Des monuments qui rêvent à un autre monde. Qui prennent
toute la place possible pour le futur, à une époque, la nôtre,
où l’avenir semble si petit. D. B. & J. L.

L’art s’adapte au volume de son audience : fini les miniatures,


les camées, les petites pièces particulières, il est censé s’adresser


à tous. À tous, en même temps – fût-ce pour un bref moment.


CI-DESSUS
Kaws
Holiday
Baptisée
«Companion»
par l’artiste
new-yorkais,
cette énorme
sculpture
gonflable de
37 m de long,
évoquant un
Mickey crevé,
dérive au fil
de l’eau dans
un Hong Kong
surpeuplé.
2019, sculpture
gonflable, 13 m.


CI-DESSUS
À DROITE
Damien Hirst
Demon
with Bowl
Vue de
l’ex p o sit ion
«Treasures from
the Wreck of the
Unbelievable»,
au Palazzo Grassi,
à Venise, en 2017.
2017, résine peinte,
18,22 x 7,39 x 11,44 m. QQQ


Découvrez l’exposition «XXL – Estampes monumentales
contemporaines» à Caen en diaporama sur BeauxArts.com
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