Beaux Arts - 05.2019

(Steven Felgate) #1

Beaux Arts I 61


R


eine de la nuit distante et inaccessible, inquiétante
et changeante, célébrée comme une déesse durant
l’Antiquité, scrutée par les astrologues de la Renais-
sance puis les scientifiques des Lumières, tous à l’af-
fût de signes plus ou moins tangibles, la Lune devient
soudain réelle le 21 juillet 1969 lorsqu’un certain Neil Armstrong
y fait le premier pas. Un exploit immortalisé par des images
retransmises en direct et suivies dans le monde entier par
six  cents millions de téléspectateurs. À l’occasion du 50e anni-
versaire de cet événement planétaire, le Grand Palais convie les
artistes d’hier et d’aujourd’hui à célébrer l’unique satellite
naturel de la Terre. Un voyage planant, sans limites ni frontières
chronologiques, qui nous propulse depuis les terres antiques du
Croissant fertile (Mésopotamie), où elle incarnait un dieu (Nanna
ou Sîn) dont dépendait la survie du monde, jusque dans l’instal-
lation d’un Nam June Paik (Moon is the Oldest TV, 1965-1992).
Celui-ci la dévoile dans tous ses états, qu’elle soit pleine ou
réduite à un infime arc de cercle, à travers douze écrans de télé-
vision. Entre ces deux moments que plus de quatre mille ans
séparent, chaque artiste se saisit de la Lune pour la réinventer,
la posséder, l’adorer, tenter d’en percer les mystères ou d’en révé-
ler la face cachée, voire obscure. Girodet en profite pour peindre
la beauté du pâtre Endymion (1791), son amant mythologique,
sous les traits d’un éphèbe nu offert dans une pause langoureuse,
avant que Millet ne représente l’astre tout en douceur dans un
paysage à la douce mélancolie (le Parc à moutons, clair de lune,
vers 1872). Un peu plus tard, Méliès zoome sur sa grosse tête
grimaçante, ahurie de se prendre une fusée-obus dans l’œil
(le Voyage dans la Lune, 1902), et Dalí l’utilise pour masquer le
visage de l’infante Marguerite (la Perle, vers 1981) immortalisée
par Velázquez, quand Miró lui offre le premier rôle d’une compo-
sition bleue merveilleusement onirique (Baigneuse, 1924). Parmi
le foisonnement étourdissant de toutes ces images, les photo-
graphies des archives de la Nasa, saisissant l’ombre du premier
astronaute sur la surface lunaire, sont peut-être celles qui nous
font le plus rêver et croire que rien n’est impossible. n

Leonid Tishkov
Private Moon
En tête de cortège
des amoureux de l’astre
nocturne, le photographe
Leonid Tishkov parcourt
le monde avec un croissant
de lune phosphorescent
sous le bras, conçu par
ses soins. Sans jamais
le quitter, il se met en scène
en pleine nature, sur un toit
ou dans des lieux encore
plus insolites, pour donner
naissance à des images
évoquant à la fois l’univers
de Magritte et les contes
pour enfants.
2003-2017, Plexiglas, générateur
et led, 100 x 200 x 13 cm.
Free download pdf