Beaux Arts - 05.2019

(Steven Felgate) #1

66 I Beaux Arts


PHÉNOMÈNE


L’espace et le corps


pour toile


Pourquoi ne poser qu’un peu de fard sur les paupières quand on peut devenir
une œuvre d’art totale? C’est la question que ne se pose plus la jeune artiste
américaine, devenue la coqueluche des stars. Rencontre à Los Angeles.

Par Sarah Belmont


ALEXA MEADE


EN HAUT À GAUCHE
Alexa Meade
en train de réaliser
Blueprint
Installation,
en 2010.
EN HAUT À DROITE
Bjarke Ingels
Sketch, 2019
EN BAS
Sans titre,
2009

Qu’elle réalise
un tableau vivant
dans l’intimité
de son studio
californien
(comme très
récemment avec
l’architecte
danois Bjarke
Ingels) ou que son
modèle s’échappe
dans le métro
de Washington,
l’artiste mêle sur
sa palette tous les
médiums : dessin,
peinture, body
art, installation,
performance...

h t t p s ://
alexameade.com

L


e long d’une route bordée d’entrepôts se détache
une façade ornée de graffitis fleuris et d’arcs-en-
ciel. C’est là qu’il y a deux ans, Alexa Meade a
installé son atelier. Le quartier s’appelle Lincoln
Heights. Clin d’œil fortuit à la vocation initiale
de cette autodidacte d’un blond roux aussi doux que sa
peau de porcelaine. Ses taches de rousseur rappellent les
gouttes de gouache qui constellent ses bottines usées.
Ce physique délicat cache un réel aplomb. Née à Wash-
ington, diplômée en sciences politiques, Alexa Meade
visait la Maison-Blanche, en toute simplicité, avant que
l’inspiration ne vienne frapper à sa porte. Un jour qu’elle
cherchait, pour un cours, le moyen de sculpter un «paysage
qui n’en serait pas un» – telle était la consigne –, elle décida
de repeindre une poignée d’ombres à même le sol. Voilà
comment un simple devoir universitaire s’est transformé
en vocation artistique. Fascinée (comme les impression-
nistes) par les variations de lumière, elle compte Robert
Irwin, James Turrell et Alice Niel parmi ses idoles.
Adieu le Capitole! Bonjour le sous-sol de chez ses parents
où, pendant des mois, Alexa Meade se livre à maintes expé-
riences. Pas question de peindre sur toile, comme le lui sug-
gère son entourage. Le monde deviendra son support. «Je
ne peins pas d’après, mais sur nature», explique-t-elle. Sous
son pinceau, les fleurs fanent, les légumes moisissent. Et
seule sa sœur cadette accepte volontiers de poser sans
craindre de suffoquer sous la couleur. Que l’on se rassure,
Alexa Meade réserve l’acrylique, toxique, aux objets et ne
peint corps et visages qu’à la gouache.

«On est loin du trompe-l’œil !»
Entre installation, peinture, sculpture et photographie,
son art défie ainsi les classifications. Il fait pourtant l’objet
d’un rituel : d’abord styliser le décor, étape qui peut prendre
une à deux semaines selon les surfaces à peindre. Ensuite,

une petite heure suffit pour métamorphoser le tableau du
modèle. «On est loin du trompe-l’œil! Je ne cherche pas à
mettre en relief une surface bidimensionnelle. Je vide le
réel de sa substance physique, pour lui conférer un carac-
tère pictural», nuance l’artiste. Ces portraits performatifs,
plus vivants que nature, ont incontestablement porté leurs
fruits. Alexa Meade se repose désormais sur une équipe de
huit personnes. Les uns accompagnent son geste créatif ;
les autres se chargent de filtrer les innombrables demandes
quotidiennes qu’elle reçoit. Tout le monde rêve de passer
devant son objectif. La chanteuse Ariana Grande vient de
faire appel à elle pour son clip God Is a Woman. Cette col-
laboration, qui reprend le motif d’une série réalisée en 2012
avec l’actrice Sheila Vand dans un bain de lait, a contribué
à tout, sauf soulager son agenda.

Prochaine étape : repeindre la nature
Son succès, Alexa Meade le doit avant tout à sa présence
croissante sur le Net. En 2010, la publication de l’une de ses
œuvres par un blogueur fait le buzz. Aujourd’hui, son
compte Instagram est suivi par 200 000 followers. Dans ces
conditions, autant rester indépendante : «Je n’ai rien contre
les galeries, mais j’ai la chance de pouvoir être en rapport
direct avec tous ceux qui soutiennent mon travail», ajoute
la plasticienne actuellement partagée entre deux projets.
Le premier pour une association caritative d’Atlanta ; le
second, pour le festival de musique de Coachella, en Cali-
fornie. Un grand écart attestant que cette trentenaire, que
l’on pourrait croire arrivée au sommet, se cherche encore.
Son prochain défi? «Je réfléchis à une solution pour
repeindre la nature sans l’abîmer. Je ne parle pas d’un lopin
de terre, mais d’hectares entiers !» Retour au paysage donc,
point de départ insoupçonné de sa carrière. S’il est bien une
chose qu’Alexa Meade a gardée de sa formation politique,
c’est son ambition, à présent débordante de couleurs. n
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