Beaux Arts - 05.2019

(Steven Felgate) #1

70 I Beaux Arts


EXPOSITION l LA PRÉHISTOIRE, OBJET DE DÉSIR DES ARTISTES


«
L

a peinture est en décadence depuis
l’âge des cavernes», clame Joan Miró
en 1928 à l’éditeur et critique d’art
Tériade. Ses toiles évoluent alors vers
un monde non réaliste peuplé de
motifs oniriques ; des signes énigmatiques évoquant aussi
bien des formes organiques et cosmiques que les pre-
mières traces humaines découvertes sur Terre. Comme
nombre d’artistes et écrivains, Miró est captivé par les ves-
tiges de la préhistoire que l’archéologie découvre peu à
peu. Ils y puisent, chacun à leur façon, une formidable
source d’inspiration afin de donner à leurs œuvres un
souffle nouveau.
C’est à la sensibilité des avant-gardes pour ces témoi-
gnages du fond des âges que s’intéresse le Centre Pompi-
dou. «Le primitivisme tel qu’il a été abordé n’a pas inclus
la préhistoire jusque-là, expliquent les commissaires de
la manifestation, les universitaires Maria Stavrinaki,
Rémi Labrusse et la conservatrice Cécile Debray. Il y a eu
des expositions sur les résonances de l’art préhistorique
sur les artistes, mais pas vraiment sur les effets de l’inven-
tion de l’idée de préhistoire sur la création moderne et
contemporaine.» Ils furent pourtant considérables. Aussi
variés et complexes que la discipline est difficile à définir
précisément. La notion de préhistoire s’est affirmée au
milieu du XIXe siècle avec la multiplication des fouilles et

les avancées de la paléontologie. La découverte des méga-
lithes, ces pierres monumentales érigées en des temps
immémoriaux, et des fossiles (animaux ou végétaux) avait
déjà révélé à l’homme une ère où sa place était infime,
voire inexistante.
Reconstitués dans les muséums, les dinosaures sont les
premiers à envahir l’imaginaire collectif, tandis qu’une
chronologie s’appuyant sur les artefacts et outils façonnés
par Néandertal et Homo sapiens s’établit peu à peu. Elle
donne bientôt corps au grand récit évolutionniste qui fait
passer l’homme du statut de chasseur-cueilleur, soumis à
l’inconstance et la violence de son environnement (durant
la période dite paléolithique), à celui d’agriculteur séden-
taire, capable d’en exploiter les ressources (pendant le néo-
lithique). Ce vaste ensemble est parachevé ensuite, dans la
première moitié du XXe siècle, par la découverte des grottes
ornées et l’invention d’un art pariétal spécifique.

L’appel de l’«abîme temporel»
Loin de ces considérations scientifiques, les artistes
montrent dès le début une fascination sans bornes pour
toutes les questions que soulève la préhistoire. Celle-ci
éveille chez eux curiosité et excitation. «Elle recycle la
connaissance dans du fantasme, notent les commissaires.
La fragilité des vestiges va de pair avec une impression de
miracle ; comme un grain de sable dans l’histoire de la vie.

CI-DESSUS
Yves Klein
Anthropométrie
ANT 84
1960, pigment pur
et résine synthétique
sur papier marouflé
sur toile, 155 x 359 cm.


PAGE DE DROITE
Le panneau des
chevaux de la
caverne du Pont
d’Arc, réplique de
la grotte Chauvet
Vers - 36 000 ans,
figures noires dessinées
au fusain et rehaussées
de gravures au silex.
Fasciné par
les grottes ornées
millénaires,
Klein réinvente
l’acte de peindre
en le réduisant
à une approche
primitive, où
des corps nus
enduits de bleu
se jettent sur la toile
pour y laisser une
marque indélébile.

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