Beaux Arts - 05.2019

(Steven Felgate) #1

Beaux Arts I 71


La puissance de l’expression et la signification de ces
objets les bouleversent car ils reconfigurent le savoir et
suspendent les causalités admises. La préhistoire suscite
le sentiment d’un “abîme temporel” qui bouleverse notre
maîtrise d’un temps linéaire tel que l’historicisme du
XIXe siècle l’avait élaboré.»


Un sexe féminin sur une bûche rouge


L’homme préhistorique devient le héros de romans et
d’œuvres d’un genre nouveau. Il y incarne le plus souvent
un personnage inquiétant qui doit lutter pour sa survie et
reflète, comme chez Odilon Redon, la peur de la régres-
sion sous la forme d’une silhouette perdue dans un monde
lugubre en noir et blanc. Cézanne s’intéresse, lui, à l’étude
stratigraphique du sol. Ses célèbres vues de la montagne
Sainte-Victoire doivent ainsi probablement beaucoup à
son amitié avec Antoine-Fortuné Marion, un préhistorien
et enseignant en géologie. En témoignent ses esquisses
des différentes couches sédimentaires dans l’un de ses
carnets. Max Ernst développe également, à sa manière,
une iconographie de stratifications géologiques au sein
de paysages organiques dénués de toute présence
humaine. André Masson part chercher l’inspiration sur le
site de Carnac (Morbihan), immense ensemble mégali-
thique où se rendront aussi Paul Klee, Jean Arp et les
Delaunay. Et lorsqu’il s’agit d’analyser les origines de


l’abstraction, Vassily Kandinsky et Willi Baumeister
évoquent l’importance de l’art préhistorique, diffusé à
partir des années 1920 dans diverses revues. L’Esprit nou-
veau ou les Cahiers d’art reproduisent les merveilles des
peintures pariétales pendant que muséums et musées en
exposent les relevés réalisés in situ : en 1930, le public pari-
sien découvre ainsi, ébahi, les peintures et sculptures
rupestres africaines à côté d’une collection de silex taillés
dans une exposition organisée à la salle Pleyel par le
musée d’Ethnographie du Trocadéro. Georges Bataille fait
partie des nombreux visiteurs qui en sortent fortement
marqués. Il se passionne pour cette forme de création
«primitive» et fait la synthèse de ses recherches dans Las-
caux ou la naissance de l’art, paru en 1955, soit quinze ans
après la découverte de la grotte, ouverte au public en 1948.

«La fragilité des vestiges va de pair


avec une impression de miracle ;


comme un grain de sable dans


l’histoire de la vie.»
Maria Stavrinaki, Rémi Labrusse & Cécile Debray,
commissaires de l’exposition

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