Beaux Arts - 05.2019

(Steven Felgate) #1

74 I Beaux Arts


EXPOSITION l LA PRÉHISTOIRE, OBJET DE DÉSIR DES ARTISTES


Avec la découverte du temps géologique s’est vite
imposée une évidence angoissante : la possibilité d’une
Terre sans hommes. Cette idée renvoie autant au passé
qu’au futur et, comme le souligne Maria Stavrinaki,
«l’humain commence à concevoir une apocalypse qui
n’est pas celle de la Terre entière». Après les atrocités de
la Seconde  Guerre mondiale, apparaissent des œuvres
montrant un monde déshumanisé, ravagé par le nucléaire
et les dérives de l’industrialisation. Des angoisses et stu­
peurs réactivées depuis quelques années par les artistes
de l’anthropocène, cette notion forgée à la fin des
années 1990 pour définir l’ère durant laquelle l’activité
humaine bouleverse à tel point la biosphère qu’elle peut
être considérée comme une force géologique majeure. La
préhistoire est désormais liée aux catastrophes écolo­
giques en cours. Pierre Huyghe, dans sa vidéo post­
nucléaire Human Mask (2014), montre ainsi une ville
japonaise désolée après la catastrophe de Fukushima, où


la seule présence humaine est celle d’une jeune fille qui
se révèle être un singe masqué, alors que crépitent au loin
les annonces inaudibles d’un haut­parleur encore en
fonctionnement. C’est également de fin du monde dont
il est question chez Marguerite Humeau. À travers ses
figures anamorphiques, associant les silhouettes de
Vénus et les contours de cerveaux d’animaux, l’artiste
annonce l’extinction imminente des descendants de nos
mères originelles qui avaient pourtant traversé les millé­
naires. Elle s’inspire d’une croyance chamanique selon
laquelle les hommes préhistoriques mangeaient la cer­
velle des animaux pour y puiser leur force. Pendant ce
temps, les frères Chapman rejouent l’extinction des dino­
saures, reconstituant dans leur installation le moment où
la météorite a raison de leur espèce... Des œuvres fasci­
nantes et déroutantes, qui font vaciller l’idée de progrès,
d’évolution, de toute­puissance et, de façon générale,
nos certitudes d’hommes «civilisés». n

L’art moderne et contemporain à l’âge de pierre
Pour commencer, un face-à-face éloquent : le crâne de Cro-Magnon du musée de l’Homme en regard d’un
petit format abstrait de Paul Klee intitulé le Temps. Le ton est donné. L’exposition que le Centre Pompidou
consacre aux influences qu’a eues la préhistoire sur la création moderne et contemporaine, loin de se limiter
à des rapprochements formels plaisants, affirme sa dimension métaphysique. Associant aux chefs-d’œuvre
datant de dizaines de milliers d’années (conservés au musée de l’Homme à Paris, au musée d’Archéologie
nationale à Saint-Germain-en-Laye, et au musée national de Préhistoire aux Eyzies-de-Tayac) des pièces d’Yves
Klein, Alberto Giacometti, Joseph Beuys, Louise Bourgeois, Tacita Dean ou Miquel Barceló (qui a conçu une œuvre
pour l’occasion), le parcours soulève de grandes questions existentielles autant que des sujets d’actualité.

«Préhistoire
Une énigme moderne»
du 8 mai au 16 septembre
Centre Pompidou
place Georges Pompidou
75004 Paris
01 44 78 12 33
http://www.centrepompidou.fr
Catalogue
éd. Centre Pompidou
304 p. • 39 €

Vue de
l’exposition
«FOX P2»
de Marguerite
Humeau
Expérience
physique et
sensorielle, entre
science et fiction,
la première
exposition
personnelle
d’envergure de
Marguerite
Humeau rejouait
l’origine de la vie
dans les espaces
du Palais de
Tokyo, à Paris,
en 2016.

Retrouvez l’exposition en diaporama
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