Beaux Arts - 05.2019

(Steven Felgate) #1

82 I Beaux Arts


L’HISTOIRE DU MOIS l GALERIE THADDAEUS ROPAC


Jusqu’au 15 juin


Donald Judd


De New York à Marfa,


l’héritage maximal


d’un mythe américain


Disparu en 1994, Donald Judd a fait de son immeuble à Manhattan et de son domaine
dans le désert texan une œuvre unique au monde, qu’il souhaitait à jamais inchangée.
Aujourd’hui sanctuarisés, ces espaces aussi radicaux que sensuels attirent des pèlerins
de toute la planète arty. Beaux Arts a fait le voyage avant une exposition parisienne.

Par Emmanuelle Lequeux


U


n quart de siècle que ces chaussures n’ont pas bougé.
Pas d’un millimètre. Donald Judd – dit Don – pourrait
tout aussi bien surgir en haut de l’escalier pentu et les
mettre à ses pieds pour sortir dans le blizzard de Soho,
on ne serait guère surpris. Vingt-cinq ans après sa dis-
parition, l’artiste survit, à sa manière : rigoureuse, peu banale, habitée.
Ses couteaux de cuisine, ses épices, son matelas, ses masques afri-
cains, tout est là, tel qu’il l’a laissé, dans son immeuble de verre et
d’acier du 101, Spring Street, au cœur de Manhattan. En poète de la
géométrie, ce géant de l’art américain ne croyait sans doute pas aux
fantômes. Mais il croyait en l’immuable, à n’en pas douter. Laisser
une trace, voilà qui l’obsédait. Mais une trace qu’il aurait lui-même
dessinée, sans que personne ne puisse jamais la modifier. Sa vie mode
d’emploi, il l’a offerte en héritage à sa fille Rainer et son fils Flavin.

Avec, en bonus, son bâtiment historique de SoHo, son domaine de
Marfa, au fin fond du Texas, et des millions de dollars de dettes. Son
testament était des plus clairs, le gaillard n’étant pas du genre à bar-
guigner : il fallait que rien ne bouge. «Dès notre enfance, son désir de
voir tout cela devenir un musée revenait dans les conversations, confie
Flavin Judd. Don voulait que tout reste exactement en l’état, gelé.»

«Il est l’ultime autorité»
Naviguant aujourd’hui entre Paris et New York, ce charpentier de for-
mation a dévolu une grande partie de sa vie à défendre cette volonté
de fer. «Quand il est mort, nous nous sommes tournés vers les avocats,
convaincus que Don aurait donné ses instructions. Mais c’est à nous
qu’ils ont demandé ce qu’il fallait faire! Nous avions alors deux choix :
abandonner ou essayer. Cela fait maintenant vingt-cinq ans qu’on QQQ

Donald Judd en 1982,
dans l’atelier de
gravure de son
domaine (la Mansana
de Chinati), à Marfa,
a u Tex a s.
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