Beaux Arts - 05.2019

(Steven Felgate) #1

Beaux Arts I 85


lui permettait de faire le tri.» Il faut faire le voyage pour comprendre
la singularité du personnage. Là-bas non plus, rien n’a changé, d’un
millimètre. Judd avait découvert cette contrée lointaine dès 1946,
alors qu’il était en transit pour combattre dans la guerre de Corée.
Ce souvenir ne l’a jamais quitté.

Des modules de béton encadrant le vide
À la fin des années 1960, il s’installe avec ses enfants en bas âge au
Mexique, dans la région de Baja California. Mais il se lasse vite des
tracasseries douanières pour faire traverser la frontière à ses sculp-
tures. D’où l’idée de s’installer juste de l’autre côté du Rio Grande. Il
arrive à Marfa sans aucun plan ; il y accomplira un projet sans précé-
dent, sans équivalent, rachetant hangars et casernes un peu partout
dans la ville et ses alentours, afin d’abriter ses sculptures, mais aussi
les créations de ses proches, de Dan Flavin à John Chamberlain. Il y
réalise aussi quelques-unes de ses sculptures les plus monumentales.
Notamment ses modules de béton, répartis sur un kilomètre de lande
jaunie par le soleil, encadrant le vide. Agir dans le paysage, c’était pour
lui une nouveauté. Les artistes du land art? Ses écrits attestent qu’il
n’avait que mépris pour Robert Smithson et consorts. «Pour lui, tous
les paysages étaient déjà trop manucurés pour qu’il ait envie d’inter-
férer. Et quand ils ne l’étaient pas, le paysage devait être préservé en
tant que tel : cela lui semblait stupide d’intervenir sur une terre vierge,
alors qu’elle avait mis des millions d’années à se former. S’il l’a fait, QQQ
Donald Judd photographié par Laura Wilson dans l’atelier d’architecture
de son domaine de Marfa, au Texas, en 1993.


À Marfa, cette ancienne caserne
devenue sanctuaire de l’œuvre de Judd
aux côtés de travaux de John
Chamberlain, Dan Flavin ou Ilya Kabakov
fait l’objet de pèlerinages d’amateurs
d’art venus du monde entier.
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