Beaux Arts - 05.2019

(Steven Felgate) #1

86 I Beaux Arts


L’HISTOIRE DU MOIS l DONALD JUDD


c’est que le paysage était déjà sous
l’emprise de l’homme».
Aux yeux de Flavin, c’est dans les
plaines du Wisconsin que se trouve
une autre clef de l’œuvre de son
père. «Mes grands-parents travail-
laient pour le télégraphe de la Wes-
tern Union, ils déménageaient tous
les deux ans. La seule constante,
dans l’enfance de Don, c’est leur
ferme dans le Missouri, une jolie
maison dans les Rolling Hills, près
de Kansas City. Le ciel, la terre.
Rien d’autre. Deux dimensions.
Pas d’arbre, pas d’océan ; juste toi,
le temps et les vaches. Sans faire de
la psychanalyse de bas étage, je
crois que cela a été une influence
fondamentale.» Durant sa jeu-
nesse, l’étudiant en histoire de l’art
et en philosophie retrouve ces
lignes quintessence dans la peinture qui lui forme l’œil, Jackson
Pollock, Mark Rothko, Barnett Newman. Peinture à l’origine de tout,
à l’en croire. Mais il abandonne peu à peu le médium, vers le milieu
des années 1960, pour prolonger ses recherches dans l’espace.

Judd ou l’anti-nostalgie
«Être dans l’espace, dans un temps donné, connecter l’œuvre à ton
corps» : ainsi Flavin résume-t-il les désirs d’un artiste qu’on a trop
longtemps réduit à la raideur de ses formes, à son sens du rythme
mathématique. Être ici, maintenant. Son travail n’a finalement pas
d’autre finalité : offrir au regardeur cette sensation de présence
extrême au monde. «Le contact sensuel, tactile, était fondamental à
ses yeux. Sentir et penser, en même temps, où et quand tu te trouves,

sans pouvoir aller nulle part ailleurs : tout son art tourne autour de
cette tentative. Aujourd’hui, avec les téléphones et les réseaux
sociaux, les gens vivent dans deux temps à la fois. Ils sont dans la
nostalgie permanente, ils prennent des photos pour leur nostalgie
future. Alors que pour lui, la nostalgie n’était qu’une perte de temps.
Il était l’anti-nostalgie.» Son rapport au temps lui-même n’était pas
celui du commun. Une révolution perpétuelle, plutôt qu’une ligne
tournée vers l’avenir. «Le temps n’existait pas pour lui. Ils se sont
beaucoup battus à ce sujet avec Frank Stella. Ce dernier ne voulait que
du nouveau, il reprochait à Don de faire toujours les mêmes pièces.
Don, lui, ne voulait que du bon, pas du neuf. C’était sa philosophie,
basique. Une philosophie de fermier. L’art était pour lui la meilleure
manière de comprendre les choses, dans leur matérialité, d’envisager
la présence du réel. Jusqu’à lui, l’art offrait des mythes pour échapper
au monde. Il a voulu transformer absolument cela. En ce sens, il était
infiniment plus radical que Picasso.» n

Judd a acquis en 1989 cette maison du centre-ville de Marfa, afin d’y abriter
ses peintures des années 1950 et sa collection de meubles shakers.

À la fin des années 1960, Donald Judd et sa famille s’installent au Mexique,
dans la région de Baja California. C’est là qu’il se prend de passion pour les textiles
et céramiques méso-américaines.

Donald Judd pose devant l’une
de ses œuvres (Untitled, 1975)
à la Mansana de Chinati, en 1982.


Au nom du père
La couleur, voilà ce qui l’obsédait. Un orange tapi
au fond d’un cube de contreplaqué, des rectangles
cachant des tréfonds de Plexi radieux... La galerie
Thaddaeus Ropac offre ses espaces du Marais
à Donald Judd, en dévoilant sculptures pionnières
des années 1960 mais aussi dessins. Une première
orchestrée par son fils Flavin, qui a fait sien
le «combat contre le temps et l’entropie» de ce
géant mécompris. «Aucune couleur ne le rebutait,
il essayait de lutter contre les clichés qui leur
étaient associées, d’éviter la facilité des couleurs
primaires.» Une magistrale démonstration.
«Donald Judd Curated by Flavin Judd»
jusqu’au 15 juin • galerie Thaddaeus Ropac
7, rue Debelleyme • 75003 Paris • 01 42 72 99 00
http://www.ropac.net
Découvrez l’exposition «Donald Judd
Curated by Flavin Judd» sur BeauxArts.com
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