Beaux Arts - 05.2019

(Steven Felgate) #1

90 I Beaux Arts


RÉTROSPECTIVE l ANTONELLO DA MESSINA


la bouche ou les angles du nez. Antonello créait de manière
bien plus rapide et spontanée que le très minutieux
Van Eyck. Il ne peignait pas flamand, mais «à la flamande».
Quant au voyage qu’il fit au-delà de son île natale, il ne le
mena pas en Europe du Nord mais seulement à Naples, où
le jeune artiste, âgé alors seulement d’une quinzaine d’an-
nées, séjourna entre 1445 et 1455. Là, entré en apprentissage
dans l’atelier de Colantonio (actif entre 1440 et 1470), il fut
immédiatement plongé dans l’émulation d’un foyer artis-
tique et intellectuel cosmopolite, véritable plaque tour-
nante en matière culturelle. En 1443, Naples était en effet
devenue la nouvelle et flamboyante capitale du bref
royaume des Deux-Siciles établi par Alphonse V d’Aragon,
dit le Magnanime. Vainqueur du roi poète René d’Anjou,
Alphonse poursuivit avec encore plus d’éclat la politique
de son prédécesseur et attira auprès de lui des peintres
d’horizons divers : catalans, provençaux, italiens et surtout
flamands... Il se passionna pour ses derniers, dont il pos-
sédait la collection la plus importante de son temps, riche
d’œuvres de Rogier van der Weyden et Jan Van Eyck. C’est
donc au contact de ces peintures – et non des artistes –,
suivant l’exemple de son maître Colantonio réputé pour


avoir copié avec zèle toutes les œuvres de Van Eyck qu’il
avait pu voir, qu’Antonello dut apprendre la technique de
l’huile. D’où cette manière si singulière de l’appréhender,
en l’utilisant avec parcimonie mais efficacité, et qui semble
mettre en application l’un des principes de la peinture édic-
tés par l’humaniste Bartolomeo Fazio, proche du roi
Alphonse à qui il dédia son De viris illustribus (Des hommes
illustres) : «C’est à exprimer ces propriétés des êtres que doit
s’efforcer le peintre aussi bien que le poète, et c’est princi-
palement là qu’on reconnaît le talent et la faculté de l’un et
de l’autre.»

Dans les yeux de la Vierge
Exprimer les «propriétés des êtres». Antonello excella
dans ce registre, au point de rendre les visages de ses
modèles totalement magnétiques. Si ses premières œuvres
sont encore imprégnées des multiples influences subies à
Naples, l’ensemble de peintures qu’il semble avoir exécu-
tées à Venise (les experts estiment qu’il en aurait réalisé
près de 16 en un an), où il arrive en 1475, hausse singulière-
ment le ton. Entre-temps, Antonello était revenu à Mes-
sine, puis passé un temps par Reggio di Calabria, où son

CI-DESSUS
Portrait d’homme
(dit aussi
Portrait Trivulzio)
Autre portrait inoubliable
par le naturel exceptionnel
de son modèle, demeuré
aussi inconnu. Archétype
de l’homme italien
du Quattrocento.
1476, huile sur peuplier,
37,4 x 29,5 cm.

Portrait d’homme
Malgré de trop nombreuses restaurations, ce portrait aujourd’hui
conservé à Cefalù, en Sicile, dit du Marin inconnu, est emblématique
de la vérité des visages peints par Antonello. Avec ce sourire ironique
aussi difficile à interpréter que celui de la Joconde.
Vers 1470, huile sur noyer, 30,5 x 26,3 cm.

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