Beaux Arts - 05.2019

(Steven Felgate) #1

92 I Beaux Arts


RÉTROSPECTIVE l ANTONELLO DA MESSINA


activité aurait là aussi été intense.
Mais toute la production de cette
période de maturation de son art est
aujourd’hui perdue. Les spécialistes
considèrent d’ailleurs son corpus
amputé de 80 % de ses tableaux, vic-
times notamment des catastrophes
naturelles siciliennes, dont le rava-
geur tremblement de terre de Messine
en 1908. Ne reste aujourd’hui qu’une
trentaine de panneaux. Parmi ceux-ci,
pas moins de cinq figures d’Ecce Homo,
la passion d’Antonello. Bien avant
Caravage, le Christ y est déjà repré-
senté en homme simple, humble,
accablé par la souffrance. Une même
humanité émane de la Vierge dite
Benson, quand le Christ enfant plonge
spontanément la main dans le décol-
leté de sa mère pour lui prendre le sein.
Autre présence étrangement incarnée
dans l’un de ses tableaux les plus
connus, l’Annonciation, magnifique
abstraction dans son sujet, splendide
vision en chair et en os de la Vierge, aux
yeux hypnotiques, la main tendue vers le spectateur, toile
jadis attribuée à Dürer. On ne peut qu’aimer cette Marie qui
fait du regardeur un témoin intime de la scène sacrée, sans
aucun intermédiaire. Hiératique et drapée dans un man-
teau bleu lapis, elle est aussi une beauté parfaite.


L’extrême souci du détail


Toutes les femmes peintes par Antonello sont d’ailleurs
de cette séduction troublante, d’où peut-être cette pique de
Vasari sur son goût des femmes. Ses portraits masculins,
dont les modèles nous sont demeurés anonymes, sont tout
aussi fascinants par le tempérament qui les anime. Que
dire face au sourire narquois de ce visage d’homme de
Cefalù, face à l’autorité du célèbre Portrait d’homme dit
le Condottiere au Louvre (non présenté à Milan)? Là encore,
pour leur donner vie, Antonello utilise une manière parti-
culière, apposant en touche finale de très fins traits de
rouge sur le contour des yeux ou des lèvres, uniquement
visibles en gros plan. Comme si le peintre innervait ses


Antonello da Messina se passionne


pour les figures d’Ecce Homo.


Bien avant Caravage, il représente


le Christ en homme simple,


humble, accablé par la souffrance.


Saint Jérôme dans son étude
Tout est réuni dans ce chef-d’œuvre
peint à Venise et conservé depuis
la fin du XIXe siècle à la National Gallery
de Londres : le réalisme et la minutie
flamande, la perspective et la rigueur
architecturale italienne.
Vers 1475, huile sur tilleul, 45,7 x 36,2 cm.

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