Beaux Arts - 05.2019

(Steven Felgate) #1

94 I Beaux Arts


RÉTROSPECTIVE l ANTONELLO DA MESSINA


Le Sicilien enfin à Milan
Le duc de Milan, Galeazzo Maria Sforza (1444-1476), grand mécène
de son temps, avait rêvé d’inviter Antonello à sa cour. Il n’y parvint
jamais. Autant dire que la venue de ses œuvres en ce printemps 2019
était attendue... Car, en Italie, Antonello est un véritable mythe
et chacune de ses rares expositions déplace les foules, comme ce fut
le cas à Rome en 2006 pour sa dernière grande rétrospective.
Cette mostra milanaise se joue déjà à guichets fermés et bénéficie
d’une critique dithyrambique. Logique. Conçue comme une enquête
dans la reconstitution du catalogue lacunaire de l’artiste, elle
en réunit les principaux chefs-d’œuvre, 19 tableaux sur les 35 officiels,
en insistant sur la technique sans égale du Sicilien. Les cahiers
de Cavalcaselle (1819-1897), le premier à redonner vie à Antonello,
y sont aussi présentés de manière exceptionnelle. Et pour ceux
qui n’auront pas la chance d’aller jusqu’à Milan, Skira publie
(en anglais et italien) le catalogue complet de l’œuvre. Un délice.
«Antonello da Messina» jusqu’au 2 juin • Palazzo Reale • Piazza del
Duomo, 12 • Milan • http://www.palazzorealemilano.it • http://www.mostraantonello.it
Catalogue éd. Skira (italien et anglais) • 304 p. • 40 €

tableaux. Voilà sans doute ce qui rend Antonello aussi
populaire aujourd’hui : la possibilité de se perdre dans
quelques fascinants détails de ses œuvres, ici une goutte
de sang, là un stupéfiant nœud coulant autour du cou du
Christ, là encore le corps d’un larron tordu de douleur.

Un pont entre les peintres
flamands et vénitiens
Roberto Longhi, le grand historien de l’art, sentit dès
1914 qu’Antonello ne fut pas le simple passeur de l’art de
Van Eyck, comme le suggérait Vasari. Longhi vit plutôt en
lui un maillon essentiel, faisant un pont entre l’Europe du
Nord, comme en témoigne son célèbre Saint Jérôme, le plus
flamand de ses tableaux, et la grande peinture vénitienne,
où il eut une influence capitale, notamment sur Giovanni
Bellini dont il retint aussi le lyrisme de la lumière sur les
paysages (retable de San Cassiano)... Antonello fut ainsi
capable d’opérer une synthèse entre réalisme nordique,
réflexions sur la perspective chère aux Italiens et observa-
tion fine des volumes, liée sans doute à une connaissance
de l’œuvre de Piero della Francesca, son contemporain
dans l’Italie du Centre. L’analyse du travail du maître sici-
lien a toutefois longtemps souffert des affres du temps, de
la perte des archives et d’une partie de ses tableaux, retar-
dant sa redécouverte au XIXe siècle, menée notamment par

Vierge à l’Enfant
Achevée par son fils Jacobello, cette
Madone n’a pas le souffle des œuvres
paternelles. Mais elle constitue le plus
bel hommage à son talent, avec cette
signature : faite par «le fils d’un peintre
non humain».
1480, tempera et huile sur bois, 64,2 x 44,8 cm.

l’intrépide Cavalcaselle, le premier à arpenter toute l’Italie
sur la trace de ses tableaux, qu’il reproduisit dans de pré-
cieux carnets. De son vivant, Antonello fut bel et bien consi-
déré comme un très grand de la peinture. Mort à 49 ans à
Messine, d’une pleurésie, il laissa notamment une Madone
inachevée (aujourd’hui conservée à Bergame). Jacobello,
son fils qui fut aussi longtemps son assistant, termina
l’œuvre et la signa de cette mention : «Fils d’un peintre non
humain». Est-ce à dire divin? n

Portrait d’homme, dit le Condottiere
On l’a surnommé le Condottiere (chef de guerre) pour la force
de son autorité. Un visage sur fond noir superbement modelé
par la lumière, pièce majeure des collections du Louvre.
1475, huile sur peuplier, 36 x 30 cm.
Free download pdf