Beaux Arts - 08.2019

(Chris Devlin) #1

Beaux Arts I 67


Matthias Grünewald


Douleur absolue


Virgile Ittah
Raideur cadavérique

«Là, dans l’ancien couvent des Unterlinden, il surgit,
dès qu’on entre, farouche, et il vous abasourdit
aussitôt avec l’effroyable cauchemar d’un calvaire.
C’est comme le typhon d’un art déchaîné qui passe
et vous emporte.» L’écrivain Joris-Karl Huysmans
fut fasciné par le triptyque d’Issenheim, avec ses
violences d’apothéose et ses frénésies de charnier...
En 1904, lorsqu’il se rend à Colmar, c’est
l’éblouissement. Face à lui, ce corps de Dieu, pesant,
couvert de plaies, de crevasses, d’où s’exhale une
souffrance absolue. Huysmans, subjugué, tétanisé,
y voit, sublimée, l’union de la douleur de la chair
et de la souffrance spirituelle des êtres «transfigurés
par des excès d’âmes inouïes».


L’image fait froid dans le dos. Le corps abîmé
d’une femme à bout de force repose sur
une chaise où elle s’est écroulée. L’attitude est
raide, inconfortable ; les yeux clos, l’anatomie
décrite avec réalisme et la peau vieillie d’un
blanc cadavérique accentuent le malaise.
Mais le plus horrible, ce sont les extrémités
nécrosées, les jambes et doigts en cours de
décomposition. Une dépouille qui semble avoir
rendu l’âme dans la douleur et que Virgile Ittah
aurait instantanément transformée en statue,
la préservant d’une disparition imminente.

La Crucifixion, panneau central du retable
d’Issenheim, 1512-1516


Regarding the Pain of the Other, 2013
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