Beaux Arts - 08.2019

(Chris Devlin) #1

84 I Beaux Arts


L’ART DES ÉMOTIONS l QUAND NOS DÉSIRS FONT DÉSORDRE


L’infidèle et insatiable Zeus, qui règne sur l’Olympe, est
toujours animé d’une grande imagination lorsqu’il s’agit
de tromper son épouse. On ne compte plus ses victimes :
Europe, Léto, Léda, Danaé, Ganymède... Le «père des dieux
et des hommes» se manifeste sous des formes hybrides
pour assouvir ses pulsions sexuelles. Depuis l’Antiquité,
ces thèmes ont été traités à profusion par les peintres et
sculpteurs. Les scènes sont souvent ambiguës car les jeunes
femmes ne manifestent pas toujours de résistance. L’une
des plus célèbres est l’enlèvement d’Europe, déesse de la
Mer ou simple mortelle selon les versions. Trompant sa
vigilance, Zeus s’est métamorphosé en beau taureau blanc,
apparemment docile, sur une plage. Après un premier
moment d’effroi, l’imprudente commence à le caresser,
puis à le chevaucher. Erreur : la bête finira par l’emmener
jusqu’en Crète pour s’unir à elle. Ce mythe illustre ce que
l’historien allemand Walter Burkert a nommé «la tragédie
de la jeune fille» : séduite, trompée, abandonnée, elle
incarne la place difficile des femmes dans les sociétés du
passé. Autres temps, autres mœurs? Dans les années 1730,
le Britannique William Hogarth a peint «l’avant et l’après»
de la rencontre amoureuse. Une première scène montre un
galant entreprenant fait des avances à une jeune femme
qui lui résiste. Scène suivante : son désir sexuel satisfait, il

Mi-dieu mi-animal


Depuis Zeus et Picasso, rien de plus pittoresque que de se prendre


pour une bête. La preuve en quelques scènes de genre musclées.


la délaisse, reboutonnant sa culotte. Ainsi va souvent le
désir des hommes. Picasso n’aurait pu le nier, lui qui assu-
mait d’être devenu Minotaure, aux prises du démon de
midi. Sous les traits du puissant monstre, il s’apprête à vio-
ler (sacrifier) la nymphe qui porte les traits de Dora Maar,
le mufle presque collé à son sexe [ill. ci-dessus].

Les faunes sont lâchés
À la suite des Grecs, les peintres académiques du
XIXe siècle, Alexandre Cabanel en tête [ill. page ci-contre],
ont particulièrement affectionné les figures de faunes et
satyres lubriques. Les démons comme les hommes savent
se montrer d’une incommensurable férocité quand ils
manifestent leur désir. Les expressionnistes allemands
Otto Dix et George Grosz l’ont très bien exploité dans des
tableaux sans pitié de l’après-Grande Guerre... les femmes,
elles, s’y révèlent vénales, perfides, grossières ou indiffé-
rentes. Ou tentatrices, comme chez Gustav Klimt, voire cas-
tratrices – l’œuvre de Louise Bourgeois en offre un parfait
exemple. Remettant en cause les croyances sur le pouvoir
des sexes, la femme-araignée n’hésite pas disséquer les
phallus. Car la Grèce antique est aussi à l’origine du mythe
d’Œdipe, dont Louise Bourgeois fit grand cas. n

Pablo Picasso
Dora et le
Minotaure
[détail]
Dans un paysage
d’apocalypse
(nous sommes en
pleine guerre
d’Espagne),
Picasso exprime
ses pulsions
sexuelles en se
représentant sous
la forme d’un
Minotaure. La
nymphe, Dora
Maar, est
manipulée
comme une
poupée de
chiffon. Cette
œuvre témoigne
de la nature de
leur relation :
passionnelle,
brutale
et légendaire.
5 septembre 1936,
crayon de couleur,
encre de Chine,
40,5 x 72 cm.

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