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Il ne s’agit pas vraiment de son histoire.
Cela avait du sens pour moi qu’il ne soit
pas là dans le troisième acte du film : en
août 1969, il était à Londres, pour prépa-
rer le tournage du Jour du dauphin. Lais-
ser Roman Polanski à la place qu’il avait
à l’époque, celle d’un jeune réalisateur enthousiaste et cé-
lèbre, me semblait nécessaire. Pourtant, on ne peut pas
considérer cette histoire sans voir aussi en Polanski une vic-
time tragique. Non seulement sa femme et ses amis ont été
assassinés, mais son fils, pas encore né, aussi. Le cinéma per-
met de se raccrocher à des faits réels, tout en les revisitant.
Se réapproprier l’Histoire, comme je l’ai fait dans Inglourious
Basterds, fait partie du pouvoir du réalisateur, de la magie du
cinéma. Mais je ne vous en dirai pas plus : je ne veux pas dé-
voiler la fin de Once Upon a Time in... Hollywood.
Totalement. En particulier l’année 1969,
ici, à Los Angeles, quand on se dirigeait
vers l’arrivée de ce Nouvel Hollywood qui
a explosé à la figure des années 1950 et
- Cette période représente un idéal
pour les cinéastes de ma génération : c’est
à ce moment-là que de jeunes réalisateurs,
comme Brian De Palma, Francis Ford Cop-
pola ou Milos Forman, ont imposé leur
Votre film
se présente
comme un conte.
Celui d’une
époque. Auriez-
vous aimé
la vivre en tant
que jeune
cinéaste?
Les années 1960 ont vu naître des star-
lettes comme Raquel Welch, Joey Hea-
therton, Ann-Margret... Sharon Tate en
faisait partie. Elle était belle et élégante,
entourée d’amis célèbres. Elle a été fa-
çonnée par le couple hollywoodien
qu’elle formait avec Polanski. Ils ren-
voyaient une image très sympathique,
moderne, représentative du Nouvel Hol-
lywood, par opposition au personnage fictif de l’acteur Rick
Dalton, incarné par Leonardo DiCaprio dans mon film, et qui
ne comprend rien à ce nouveau monde. En faisant mes re-
cherches, je suis un peu tombé amoureux de Sharon. Je vou-
lais éviter de l’idéaliser, donc j’ai cherché tout ce qui pourrait
égratigner cette image d’Epinal... Mais je n’ai rien trouvé...
Lui redonner vie, transcender la tragédie de son assassinat
qui l’a figée à jamais était pour moi un service à rendre à son
talent. Sans la mettre pour autant au centre d’une intrigue ti-
tanesque, ni parler uniquement de sa relation avec Polanski.
Ce meurtre représente aussi la fin d’un éden. Sa mort est une
métaphore de la fin du mouvement « peace and love ». L’écri-
vaine Joan Didion le dit clairement : l’idéal hippie s’est inter-
rompu le 9 août 1969, le jour de sa mort.
Quand j’ai commencé ce voyage à travers
mes souvenirs, afin d’en nourrir mon
film, je me suis remémoré la station de ra-
dio locale KHJ, avec ses spots de publici-
té et ses DJ. Ce que j’idéalise le plus de
mon enfance, c’est le rapport des gens à
la radio : ils écoutaient très fort la station
qu’ils aimaient dans leur voiture, ils n’en changeaient jamais,
et même quand les pubs commençaient, ils ne baissaient pas
le son. Ils l’écoutaient à fond et parlaient très fort par-dessus!
Il est encore trop tôt pour pouvoir le
dire. Le processus va être très long. Ce
que j’espère avant tout, c’est qu’on ar-
rive à l’égalité des salaires. Qu’à travail
égal hommes et femmes soient équita-
blement payés. Cela doit être le grand
changement, la priorité indiscutable, et
j’ai l’impression que l’on va dans ce sens.
Cette affaire nous a tous obligés à regar-
der l’industrie cinématographique
d’une façon inédite. Elle m’a bouleversé.
Pour autant, je ne ferai jamais de com-
promis dans mon cinéma. Jamais je ne
changerai ma vision artistique parce que
le point de vue de la société évolue. Cer-
tains de mes films peuvent sembler dé-
sormais démodés, voire être considérés
négativement, critiqués, mais ce n’est
pas mon problème.
L’inVité Le cinéaste Quentin tarantino
La venue, en compétition, de cet enfant
de la Croisette, révélé en 1992 par Reser-
voir Dogs, polar sanglant et pop en cos-
tume-cravate, fut l’un des événements
du dernier Festival de Cannes. Quentin Tarantino, qui a rem-
porté en 1994 la Palme d’or pour Pulp Fiction, à l’âge de 31 ans,
y a été accueilli en rock star. Son dernier film, Once Upon a
Time in... Hollywood, avec un casting cinq étoiles — le duo
Brad Pitt-Leonardo DiCaprio, Margot Robbie, Al Pacino... —,
est la vibrante déclaration d’amour à Hollywood d’un réali-
sateur qui a bousculé les codes de l’industrie du septième art
avec son cinéma turbulent, son insatiable cinéphilie. Après
des hommages aux films d’arts martiaux (Kill Bill) et au wes-
tern (Django Unchained et Les Huit Salopards), Tarantino
installe son neuvième long métrage sur les collines de Los
Angeles, en 1969. Rick, acteur star de feuilletons télévisés
(Leonardo DiCaprio), et son fidèle cascadeur (Brad Pitt) y
sont ébranlés par l’arrivée tonitruante d’un cinéma mo-
derne qui va bouleverser Hollywood. Parallèlement, les
membres de la secte fondée par Charles Manson s’apprêtent
à massacrer Sharon Tate et ses amis, éclaboussant de sang le
mouvement hippie... Rencontre ultra chronométrée avec le
réalisateur, au cœur du quartier huppé de Beverly Hills, dans
la Cité des anges, un mois avant la sortie du film en France.
À Voir
n
once Upon
a time in...
Hollywood,
sortie le 14 août.
Lire la critique dans
le prochain numéro.
L’un des
personnages
principaux
de votre film est
Sharon tate, alors
l’épouse de roman
Polanski. Que
symbolise-t-elle?
on ne voit que
très brièvement
le personnage de
roman Polanski.
Pourquoi?
Propos recueillis par Caroline Besse
Photo Art Streiber/Sony Pictures
Once Upon a Time
in... Hollywood
est votre premier
film depuis
la chute de Harvey
Weinstein,
votre producteur
historique.
Quel impact
cela a-t-il eu sur
votre travail?
Pensez-vous
que cette affaire
et le mouvement
#Metoo font
évoluer le système
hollywoodien
en faveur
des femmes?
Vous aviez 6 ans
en 1969.
Quels souvenirs
gardez-vous
de Los Angeles,
où vous viviez?
signature au sein des grands studios, en s’affranchissant des
règles de ces derniers pour réaliser des films radicaux : Carrie
au bal du diable, Apocalypse Now ou Vol au-dessus d’un nid de
coucou... Cependant, j’ai pris du plaisir à travailler dans les
années 1990, qui furent une sorte de seconde vague où on pou-
vait de nouveau prendre des risques esthétiques. Le Nouvel
Hollywood a traversé les années 1970 et a duré jusqu’à l’arri-
vée de Reagan au pouvoir, en 1981. On s’est alors retrouvés
coincés dans une période répressive. Après cette décennie,
les années 1990 ont été marquées par une force explosive.
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