Télérama Magazine N°3629 Du 3 Août 2019

(Joyce) #1

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le suicide
d’une lycéenne
hante la série
13 Reasons Why.
Ci-contre :
dans Dumplin’,
c’est la fille ronde,
jadis moquée,
qui gagne à la fin.

glauque, et pour toutes les tranches


d’âge, du pré-ado à l’adulescent...


La plateforme américaine a su re-


mettre à la page le genre du teen movie,


qui a connu ses heures de gloire dans


les années 1980 et 1990. Identités et


orientations sexuelles multiples, fémi-


nisme revendiqué, omniprésence des


réseaux sociaux... Des armées de scé-


naristes ont fait du service de strea-


ming un redoutable capteur d’air du


temps, qui ne laisse rien au hasard. On


devine souvent derrière ces fictions ca-


librées pour le succès un épais cahier


des charges. A force de vouloir faire cli-


gnoter tous les signes extérieurs de mo-


dernité, ces productions ont fini par gé-


nérer leurs propres clichés. Bienvenue


dans le monde des ados selon Netflix.


50 nuances de comédies


romantiques


Netflix ne réinvente pas la romance


adolescente : il s’agit toujours de trou-


ver quelqu’un à bécoter, si possible as-


sez canon pour ne pas crever de honte


au bal de promo. Sans renoncer aux


comédies cucul la praline, où les


jeunes filles tombent en pâmoison de-


vant de beaux sportifs (les mièvres The


Kissing Booth et A tous les garçons que


j’ai aimés), la plateforme s’applique à


diversifier la représentation des sexua-


lités. Amy, l’une des héroïnes du film


Booksmart, aime les filles et panique à


l’idée de rater sa première fois. Dans la


série Trinkets, Elodie a le coup de


foudre pour une chanteuse de rock


plus âgée, qui pourrait tout aussi bien


être l’inaccessible beau rebelle du ly-


cée. Pas de coming out formalisé, pas


de dramatisation, l’orientation


sexuelle n’est qu’un paramètre parmi


d’autres. Même constat lorsque Alex,


héros de la comédie Alex Strangelove,


confie à son pote Dell qu’il pense être


bisexuel ou gay, tiraillé entre sa petite


amie et un garçon séduisant. « C’est


une période déroutante, réagit Dell,


presque blasé. Où que tu regardes,


quelqu’un est omnisexuel, poly-amou-


reux, non binaire ou en transition vers


Dieu sait quoi. » Alex embrasse son pré-


tendant en plein bal, devant sa promo


attendrie. On est loin de la scène du co-


ming out forcé et douloureux de Jack,


dans Dawson, ou des insultes homo-


phobes endurées par Rickie dans An-


gela, 15 ans. Deux personnages secon-


daires qui, dans les années 1990,


portaient leur sexualité comme un far-


deau. Dans les micro-sociétés net-


flixiennes, où l’on pousse la logique du


« feel good » jusqu’à l’absurde, le non-


hétéro a toutes les chances de s’épa-


nouir dans une fin en apothéose.


Quitte à nier une réalité qui, elle, ne


rime pas toujours avec tolérance...


ma Vie sur Les réseauX


Facebook, Spotify, Instagram,


Skype (et même Netflix !) : la série alle-


mande How to sell drugs online ( fast), la


plus geek du catalogue, déborde de ré-


férences aux applications préférées


des 12-18 ans. Sur Netflix, l’usage des ré-


seaux sociaux est un véritable ressort


scénaristique. Les ados y épient leurs


congénères, y déclarent leur flamme, y


annoncent leur rupture... L’habituelle


jungle du lycée a muté en arène 2.0, où


sévissent revenge porn, #fashionpolice


et humiliations en ligne.


L’ado boulotte du film Sierra Bur-


gess is a loser usurpe l’image de la pom-


pom girl canon pour entretenir une re-


lation virtuelle avec le beau gosse de


son lycée, avant de se révéler telle


qu’elle est et de le séduire quand


même. Faux-semblants, mensonges,


superficialité... les pièges de la techno-


logie réactualisent un enjeu phare des


teen movies : la quête de soi. Ce sont les


filles et les garçons « authentiques »,


« fidèles à eux-mêmes », qui plaisent et


réussissent. Une leçon de vie déjà assé-


née dans les fictions eighties de John


Hugues (Breakfast Club, 16 Bougies


pour Sam...), mais revue avec un filtre


très contemporain. Dans le caricatural


#Reality high, la timide Dani perd son


âme, ses amis et son amoureux en re-


joignant la clique d’une instagra-


meuse à chihuahua. La reconquête


d’elle-même et de l’estime des autres


passe par une vidéo en ligne, où elle se


réaffirme comme « fille naïve et pas-


sionnée par les chiens ». Et une pluie


d’émojis cœur inonde l’écran.


La reVanche des Losers


Le sportif et la pom-pom girl conti-


nuent de faire leur entrée dans les cou-


loirs du lycée au ralenti, cheveux dans


le vent, mais ils ne font plus vraiment


rêver. Chez Netflix, les perdants et les


ringards d’hier sont devenus les héros.


Symbole ultime de l’inversion des


camps, le personnage du geek. Dans


l’emblématique How to sell drugs on-


line ( fast), la réussite absolue, c’est de-


venir un entrepreneur de la trempe de


Steve Jobs, rien que ça. Dans ce Brea-


king Bad junior, Moritz, gringalet pâli-


chon aux faux airs de Mark Zucker-


berg, crée MyDrugs, une boutique en


ligne d’ecstasy. Son mantra, qui laisse-


ra les poètes et les utopistes songeurs :


« Nerd aujourd’hui, big boss demain »...


Certaines héroïnes nourrissent


toujours le rêve de choper la star du ly-


cée. Mais les « filles normales » ne sont


plus seulement des brunes introver-


ties, de fausses invisibles comme la Sa-


mantha de 16 Bougies pour Sam ou la


Brenda de Beverly Hills 90210. Dans les


films Dumplin’ et Sierra Burgess is a lo-


ser, ce sont les rondes, autrefois mé-


prisées, qui finissent dans les bras de


l’apollon du quartier. Netflix, le pays


où tout est possible, joue à fond la


carte de l’« empowerment » : il suffit de


le vouloir pour y arriver. Une injonc-


tion un rien culpabilisante pour un


ado mal dans sa peau...


Petits meurtres


entre ados


Qui a tué Marina d’un coup de tro-


phée de l’élève de l’année? Dans la sé-


rie espagnole Elite, construite en


Fiction


Télérama 3629 31 / 07 / 19
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