01Net N°913 Du 7 Août au 3 Septembre 2019

(Marcin) #1
Sous l’identité de Beautiful Femi-
nazie, il a entrepris une croi-
sade « contre la bêtise humaine ».
Ses cibles? Les lesbiennes,
les gays et les féministes,
qu’il aime tourner
en ridicule. Pour at-
teindre ces derniers, il
s’emploie à attirer l’attention de ses
13000 abonnés sur des tweets qui lui dé-
plaisent. Charge ensuite à sa commu-
nauté obéissante de fondre sur l’auteur
de la déclaration incriminée, en le bom-
bardant de messages. « On note une
constance dans leur objectif: réduire au silence
et délégitimer la parole de certaines catégories
de personnes, dont les femmes, en premier
lieu », explique Aurélie Latourès, chargée
d’études au centre Hubertine Auclert, un
organisme francilien dédié à l’égalité
femmes-hommes.

SUSCITER PEUR ET COLÈRE. D’ailleurs, selon
le Lobby européen des femmes (coalition
d’associations œuvrant dans l’Union eu-
ropéenne), 73 % d’entre elles déclarent
être victimes de cyberviolences. Plus
généralement, ces agressions ver-
bales ou visuelles interviennent
comme des sanctions à l’en-
contre de qui met à mal la
structure sociale dominante
ou ose défier les normes de
genre. Le chanteur français Bilal Has-
sani, ayant concouru à l’Eurovision de la
chanson en 2019, et victime de harcè-
lement homophobe sur les réseaux so-
ciaux, en a récemment fait les frais sur le
Twitter français. Certains adeptes de
l’invective en ligne que nous avons
contactés – soit dit en passant, exclusive-
ment des garçons ou des hommes – l’ad-
mettent souvent ouvertement : ils es-
pèrent ainsi « intimider », « susciter la peur
et la colère », et même « faire disparaître ».
Mais qui? Pour citer le plus explicite de
nos interlocuteurs : « Les féminazies (sur-
nom moqueur donné aux féministes par
leurs détracteurs – NDLR), les Noirs, les
trans et ce genre de personnes (sic). »
Contrairement à ce que l’on peut croire,
générer ce type de polémique ne consti-
tue pas l’apanage d’une minorité d’inter-
nautes asociaux et extrémistes. Justin
Cheng et un collectif de chercheurs de

l’Université de Stanford et de Cornell
(États-Unis)(2) ont observé, à travers une
simulation en ligne, que des personnes
ordinaires pouvaient se laisser aller à de
tels comportements, par un effet d’en-
traînement. Comme si on perdait son
libre arbitre en passant trop de temps en
ligne. Voilà peut-être pourquoi Julien
n’a pas de réponse précise lorsqu’on lui
demande d’expliquer le sens de certains
de ses tweets comme « Ta gueule gro-
gnasse » et « Un vrai homme bât (sic) sa
femme ». S’il a proféré ces injures, c’était
avant tout « pour susciter des réactions ».
Déscolarisé à 16 ans, il a intensément fré-
quenté certains forums d’extrême droite
jusqu’au trop-plein, en fin d’année 2018,
où il réalise qu’il déborde de haine « en-
vers les autres et envers [lui]-même ».
Selon Emmanuelle Piquet, psycho-
logue spécialisée dans les questions de
harcèlement scolaire, insulter ou agres-
ser masqué sur Internet sert d’exutoire à
une colère inexprimable ailleurs. «Les au-
teurs de ces invectives cherchent à pallier une
absence de relations satisfaisantes en allant
quérir de l’intensité, même négative, déve-
loppe-t-elle. Ceux qui déchargent leur frus-
tration ressentent ainsi un sentiment de puis-
sance.» Seul antidote connu pour que ces
internautes malveillants finissent par ra-
battre leur caquet, selon elle: tomber sur
plus cruel que soi.

L’ARROSEUR ARROSÉ. Certains comptes
Twitter adoptent cette stratégie de l’ar-
roseur arrosé pour désamorcer les polé-
miques. Ainsi, Balance ta dick pic épingle
publiquement des usagers ayant sévi via
l’envoi de photos de leur intimité en dé-
voilant ouvertement leur identité. Un
autre, Gourous toxiques, pointe du doigt
ceux qui utilisent leur large influence
pour nuire à d’autres twittos, en effec-
tuant des captures d’écran des méfaits
constatés. Dans les rangs des cyberhar-
celeurs, la démarche déplaît fortement.
« Recourir à la dénonciation pour jouer les
Zorro des réseaux, c’est complètement ridi-
cule », peste un certain Chris, sans noter
l’ironie de sa remarque. Car ces miroirs
le renvoient à sa propre pratique de petit
caïd des bacs à sable. Voilà qui pourrait,
enfin, le faire réfléchir ?z
DIMINUE L’EMPATHIE » (1) bit.ly/2YF9a8n (2) bit.ly/2L5d9Yw


du 7.08 au 3.09.2019 - 01NET 913 31

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